Invités à se mobiliser, les maires et les élus locaux sont divisés face au grand débat
Invités à se mobiliser, les maires et les élus locaux sont divisés face au grand débat
Par Patrick Roger (Evreux, envoyé spécial)
Le gouvernement compte sur l’implication des édiles sur le terrain, mais nombre d’entre eux ne veulent pas prendre la responsabilité d’un éventuel échec de la consultation.
Rencontre des ministres Sébastien Lecornu et Jean-Michel Blanquer avec les acteurs locaux (maires et associatifs) dans le cadre de la mobilisation pour le grand débat, à Gap, le 10 janvier. / THOMAS DELSOL / HANS LUCAS POUR "LE MONDE"
Iront ? Iront pas ? Alors que s’engage le grand débat national prévu pour durer jusqu’au 15 mars, les élus locaux sont loin d’être fixés sur l’attitude à adopter. L’exécutif, pourtant, compte sur leur mobilisation, et en premier lieu celle des maires. « Ce débat est une chance absolue. Les élus locaux ont tout intérêt à sa réussite. S’il y a une chose qui monte aujourd’hui dans notre pays, c’est bien la remise en cause de la démocratie représentative », a réaffirmé, lundi 14 janvier, à Evreux, Sébastien Lecornu, le ministre chargé des collectivités territoriales, missionné pour animer ce grand débat.
Ancien président du conseil départemental de l’Eure, il présentait ses vœux aux « forces vives » du département, dont de très nombreux élus, à la veille de la venue d’Emmanuel Macron qui devait, mardi, échanger avec six cents maires réunis à Grand-Bourgtheroulde, commune située à une cinquantaine de kilomètres de la préfecture.
Spontanément, ces élus locaux sont plutôt portés à s’investir dans cette initiative d’une ampleur inédite, même s’ils s’interrogent encore sur la manière dont cela va se dérouler. « Je pense que ce n’est pas inutile, confie Joël Lelarge, maire de Vitot, une commune de l’Eure de 560 habitants. Je ne fais pas partie de ceux qui disent que ça ne servira à rien. »
« Un rideau de fumée »
Les dirigeants des associations d’élus dites historiques, eux, affichent une prudente réserve. Dans une tribune commune publiée lundi par Le Figaro, François Baroin, président de l’Association des maires de France (AMF), Dominique Bussereau, président de l’Assemblée des départements de France, et Hervé Morin, président de Régions de France, estiment que, si les maires peuvent être des « facilitateurs » de ces débats, « ils ne sauraient en être les organisateurs, car ce serait faire porter sur eux une responsabilité qui n’est pas la leur ».
« Ça ressemble à un rideau de fumée, tranche André Laignel, vice-président de l’AMF. Nous n’avons pas de raison d’être des témoins assistés d’un procès qui n’est pas le nôtre. L’immense majorité des maires, droite et gauche confondues, ne souhaite pas être des supplétifs d’un gouvernement qui n’est pas en capacité de répondre aux attentes des Français. Il n’est pas question que les élus locaux puissent être associés d’une manière ou d’une autre à l’échec du gouvernement. » Il invite les maires au « service minimum ».
Cette position de désengagement, toutefois, ne recueille pas l’aval de tous les élus, loin de là. Pour Jean-Luc Moudenc, maire de Toulouse et président de France urbaine, « ce débat national doit être saisi pour faire progresser la décentralisation ». Toutefois, précise-t-il, « il ne doit pas être une façon pour l’Etat de se défausser sur les collectivités locales en risquant de déséquilibrer les mandats locaux, mais doit agir comme un renforcement d’une démocratie plus proche des demandes des citoyens ».
« L’inaction est parfois très coupable »
Reçu lundi par M. Macron, Vanik Berberian, président de l’Association des maires ruraux de France, qui avait pris l’initiative, en décembre, d’inviter ses adhérents à ouvrir des cahiers de doléances, approuve pour sa part l’initiative du président de la République. « Le fait qu’il ait affiché clairement sa volonté de reconnaître les maires et de les impliquer dans la démarche qui va suivre, c’est quelque chose d’important, c’est une prise de conscience importante qu’on peut saluer, souligne-t-il. L’inaction est parfois très coupable. Il vaut mieux tenter quelque chose plutôt que de ne rien faire. »
Nombreux étaient les maires présents lundi à l’hôtel du département de l’Eure qui allaient se rendre le lendemain à Bourgtheroulde. Certains, toutefois, sont encore dans l’expectative. « Je ne sais pas du tout ce qu’on va faire. On attend », confie Max Guilbert, maire de Saint-Cyr-la-Campagne. Pour d’autres, au contraire, s’inscrire dans ce processus relève de l’évidence. « Il faut être conscient de la distance qui s’est installée entre les citoyens et les élus, quels qu’ils soient, relève Pascal Jolly, maire de Gasny. Ça cristallise un nombre considérable de reproches et de griefs de toute nature. L’élu de la République, donc le maire, ne peut pas s’exclure d’un débat de cette nature. »
« On est tous dans le même bateau. On doit tous apporter notre contribution », ajoute Alain Hébert, maire de Sainte-Colombe-la-Commanderie. « Oui mais j’ai lu la lettre de Macron, nuance Gérard Plessis, maire de Villez-sur-le-Neubourg. Les questions qu’il pose, ce n’est pas à lui de les poser, c’est à lui d’y répondre. »
Quelle que soit leur position à l’orée de ce grand débat, l’attente est forte, chacun étant conscient de l’extrême instabilité de la situation. M. Lecornu devrait, dans les jours qui viennent, adresser une lettre à tous les maires de France pour leur fournir des éléments sur l’organisation des débats. « Ne laissez pas les autres s’exprimer à votre place, les exhorte-t-il. Le silence n’est pas la bonne solution dans la situation que nous connaissons. »