A Tours, une guerre des nerfs entre « gilets jaunes » et forces de l’ordre
A Tours, une guerre des nerfs entre « gilets jaunes » et forces de l’ordre
Par Frédéric Potet (Tours, envoyé spécial)
Si la manifestation, qui se voulait à dimension régionale, n’a pas réuni autant de monde que les organisateurs l’espéraient, elle s’est déroulée sans débordements.
Des manifestants à Tours samedi 2 février 2019 pour l’acte XII des « gilets jaunes ». / Frédéric Potet pour "Le Monde"
A défaut d’avoir rassemblé autant de monde qu’ils le souhaitaient, les « gilets jaunes » de Touraine peuvent se satisfaire d’un point : aucun débordement n’a entaché la manifestation à dimension régionale qu’ils ont mise sur pied, samedi 2 février, dans les rues de Tours. Les organisateurs locaux avaient appelé les « gilets jaunes » des départements voisins – Sarthe, Maine-et-Loire, Vienne… – à se joindre à eux, dans l’espoir de réunir entre 3 000 et 8 000 personnes. C’est au mieux le chiffre le plus bas qui a été atteint : au plus fort de la mobilisation, selon la préfecture d’Indre-et-Loire, 1 850 personnes ont défilé dans un centre-ville aux vitrines fermées ou calfeutrées de planches.
Craignant une irruption de violence après la décision du Conseil d’Etat de maintenir l’usage des lanceurs de balles de défense (LBD), la mairie avait clôturé plusieurs lieux culturels (bibliothèque, théâtre, musées…) ainsi que l’Hôtel de ville, reportant même la manifestation qui devait s’y tenir le soir même : un bal « Renaissance » en costumes. Le 1er décembre, un homme avait eu la main arrachée après avoir voulu renvoyer une grenade en direction des forces de l’ordre, à l’occasion de l’une des premières manifestations des « gilets jaunes » à Tours. Trente blessés avaient également été recensés, le même jour, dans cette ville peu habituée au tumulte urbain.
« Les vrais casseurs sont au pouvoir »
L’acte XII du mouvement, en dépit d’une nervosité palpable, n’aura occasionné qu’un nombre limité de dommages humains : trois blessés et une personne victime d’un malaise. Le bilan aurait sans doute été pire si les gendarmes mobiles, appelés en renfort, n’avaient pas fait montre d’un flegme à toute épreuve face aux provocations d’une petite centaine de jeunes – et même très jeunes – manifestants, portant capuche et foulard sur le visage.
Il est 14 h 30 quand s’élance le cortège, rassemblé devant la mairie, place Jean-Jaurès. La thématique du jour – les violences policières – est déclinée sur les banderoles. « Macron Ier, l’Eborgneur », lit-on sur le recto d’une pancarte ; « Les vrais casseurs sont au pouvoir », est-il écrit au verso. « Policiers, vous étiez nos héros, en affiche une autre, en référence à l’implication des forces de l’ordre dans la lutte contre le terrorisme. Vous êtes maintenant nos bourreaux ». Des bandes de gaze cachent les yeux de nombreux manifestants, comme s’ils avaient été victimes de munitions perdues. D’autres exhibent des visages maculés de fausse hémoglobine. Des secouristes bénévoles, originaires de plusieurs départements, sont venus épauler ceux de Tours, au cas où des affrontements viendraient faire couler le sang – le vrai – sur le parcours.
La très grande majorité des présents ne sont évidemment pas là pour ça. Ainsi Michel Cormier, un retraité de la SNCF, originaire de Château-du-Loir (Sarthe). « Je suis venu pour rendre hommage aux gens décédés ou devenus handicapés lors des précédents rassemblements, qu’ils soient jaunes ou bleus. Un gendarme qui a perdu une main vit le même traumatisme qu’un “gilet jaune” à qui cela est également arrivé », souligne-t-il. L’homme n’a raté aucun des onze précédents actes du mouvement. Manifester est une évidence pour lui, qui touche 1 400 euros de pension par mois : « Le gros problème de notre révolution est qu’elle se fait depuis nos canapés. Les gens ne vont pas assez sur le terrain pour dire leur colère. »
Commissariat et préfecture
Des membres des forces de l’ordre à Tours, samedi 2 février 2019. / Frédéric Potet pour "Le Monde"
Une autre difficulté, liée au terrain précisément, est le désordre avec lequel se meut un cortège sans chef ni prise de décision. Quatre heures durant, le défilé va ainsi vadrouiller dans les rues de la ville au hasard, sans cap affiché, en prenant toutefois soin de tourner autour du commissariat, lieu de fantasmes largement partagés. Rien ne s’y passera. Idem devant la préfecture où un groupe de manifestants aux visages cagoulés – et ne portant aucun gilet jaune, sauf un sur lequel est écrit : « Je suis venu en paix, Don’t shoot » – viendra défier du regard une vingtaine de gendarmes mobiles. Quelques cailloux voleront. Stoïques, les hommes en uniforme ne bougeront pas d’un centimètre derrière leurs boucliers antiémeute.
Etrange guerre des nerfs, sans slogan ni revendication clamée haut et fort. La nervosité monte d’un cran un peu plus tard, dans la principale artère commerciale de la ville, la rue Nationale. Les panneaux de bois qui protègent les vitrines des Galeries Lafayette ont été recouverts de messages ne laissant aucun doute sur les motivations de leurs auteurs : ACAB (« All cops are bastards : « tous les flics sont des bâtards »), « Un bon flic est un flic mort », « LBD = La Bavure Dégueulasse »… Malmené par plusieurs casseurs, le rideau de fer du magasin restera debout. Un hélicoptère survole la scène, sous les huées de la foule.
Peu de bombes lacrymogènes seront projetées, au final, par les forces de l’ordre. La nuit est tombée depuis une heure quand la place Jean-Jaurès commence à se vider. Ne voulant pas quitter l’endroit, quelques dizaines de manifestants ont entrepris de dialoguer avec les gendarmes qui forment un cordon. « La raison pour laquelle ils [le gouvernement] vous aime bien, c’est parce que vous êtes la dernière barrière, mais un jour vous nous rejoindrez. Instruisez-vous », apostrophe un étudiant avant de recommander la lecture de l’Art de la guerre de Machiavel. Derrière la visière de son casque, un fonctionnaire esquisse un sourire.