Varda par Agnès, vague après vague
Varda par Agnès, vague après vague
Par Renaud Machart
Le site VOD d’Arte rend hommage à la cinéaste française disparue le 29 mars, à travers la diffusion de ses films, ainsi que des documentaires et entretiens.
La cinéaste Agnès Varda reçoit le 2 décembre 2018 le prix d’honneur du Festival international de Marrakech. / FADEL SENNA / AFP
A la fin de la deuxième partie de Varda par Agnès (2019), son dernier film, la cinéaste disparue le 29 mars à l’âge de 90 ans dit, installée sur une plage envahie par une tempête de sable, au côté de son ami le plasticien (mot qu’elle détestait) JR : « Je disparais dans le flou, je vous quitte… » Parole testamentaire qui conclut deux « causeries » filmées devant des auditoires divers.
Ces deux parties de Varda par Agnès (coréalisé par Didier Rouget et Agnès Varda) sont une sorte de cours magistral qui ne serait ni cours ni magistral, mais reviendrait de manière assez complète sur la carrière de celle qui, toute sa vie et dans toute son œuvre, témoigna d’une liberté de ton et de forme singulière, imprimant une sorte de poésie bricolée et surréaliste à ses idées et à ses réalisations.
Ce n’est pas une nouvelle vague, ainsi qu’elle en plaisante elle-même, mais un ressac permanent qui est venu régulièrement fouetter les rives de l’imagination de cette « petite vieille rondouillarde et bavarde », comme elle se décrit dans un autre film autobiographique, Les Plages d’Agnès (2008), où la plage est omniprésente – à commencer par celle de sa jeunesse, à Sète, où sa famille s’était réfugiée pendant la guerre, fuyant sa Belgique natale.
Dans ce document, également disponible sur Arte +7 à la demande, elle tient d’entrée de jeu un autre propos au sous-texte possiblement mortifère : « Je me suis dit : si on ouvrait les gens, on trouverait des paysages ; si on m’ouvrait, on trouverait des plages… » Drôle d’introduction en forme d’auto-psy, si l’on ose ce jeu de mot douteux – quoique, en grec autopsía veut dire « action de voir par soi-même ».
Rets ludiques
Et pourtant, ici aussi, la mélancolie et le temps perdu vont être supplantés par la joie et le présent. La mélancolie, ce sont les disparus : les anciens du village de pêcheur qui lui ont appris à réparer les filets, Jean Vilar, pour qui elle photographia le Festival d’Avignon, Jacques Demy, son époux, dont elle dira pour la première fois publiquement, dans ce film, qu’il était mort du sida et non d’un cancer. Etc.
La joie, ce sont les vivants : les amis retrouvés à Los Angeles (sur la plage, bien sûr), où Demy et Varda vécurent, les acteurs fétiches ou chers (Jane Birkin, Sandrine Bonnaire), la famille, ses deux enfants – Rosalie Varda-Demy, fille d’Antoine Bourseiller, et Mathieu Demy, fils de Jacques Demy –, les petits-enfants… Tous embrigadés dans les rets ludiques d’Agnès.
La première partie de Varda par Agnès et Les Plages d’Agnès sont parfois redondants : et encore peut-on les considérer comme générant de petites touches complémentaires, des morceaux d’un puzzle (principe qu’aimait la cinéaste et qu’elle évoque à plusieurs reprises) construisant une représentation du réel. Mais le réel, chez Agnès Varda, qui a tant aimé mêler la fiction et le documentaire dans son travail, on ne sait trop ce qu’il est vraiment.
Récente plasticienne
La deuxième causerie de Varda par Agnès retrace, en revanche, une période de création postérieure à celle envisagée par le documentaire Les Plages d’Agnès (2008), celle du XXIe siècle au cours duquel, ainsi que le dit elle-même la cinéaste, elle a « réinventé [s]on travail ». On l’y entend aussi évoquer des images (d’archives ou tournées pour l’occasion) et son travail récent de plasticienne.
Hommage, le 2 avril 2019, de la cinémathèque française de Paris à Agnès Varda. / STEPHANE DE SAKUTIN / AFP
Vidéo – la découverte des premières petites caméras numériques l’enchante –, photo et matériaux divers se mêlent, qui lui permettent des installations colorées, des triptyques où images fixes et animées dialoguent, des écrans multipliés ou encore des constructions en forme de cabanes qui tiennent à la fois du bricolage cumulatif de Ben et de l’austérité des minimalistes nord-américains…
Ces films, informatifs pour qui ne connaîtrait pas bien le travail de Varda, sont tantôt émouvants (la tombe d’un des nombreux chats de la réalisatrice, le souvenir d’une époque de combats, féministes notamment), tantôt cocasses (l’installation de pommes de terre Patatutopia, présentée à la Biennale de Venise par Varda déguisée en patate…). Mais toujours empreints d’une salutaire et fraîche liberté.
De sorte que ce « tombeau » qu’est l’hommage d’Arte – dont les éléments sont disponibles au visionnage plus ou moins longtemps – est un lieu de formidable jouvence, comme si, avec sa fin de vie créatrice et sa mort, Varda provoquait un transfert d’énergie revigorant vers le spectateur.
Hommage à Agnès Varda : https://www.arte.tv/fr/search/?q=Agn%C3%A8s%20Varda&page=1