En Afrique du Sud, le vote à reculons des partisans de l’ANC
En Afrique du Sud, le vote à reculons des partisans de l’ANC
Le Monde.fr avec AFP
A l’approche des élections générales du 8 mai, la colère et le dépit sont vifs dans les townships du pays, où les gens survivent dans des conditions précaires.
Dans le township d’Alexandra durant le meeting du président sud-africain Cyril Ramaphosa, le 11 avril 2019, en campagne pour son élection lors du scrutin du 8 mai. / Sumaya Hisham/REUTERS
« Depuis 1994 on a voté pour Nelson Mandela, pour Thabo Mbeki et Jacob Zuma, mais rien n’a changé. Vous devriez venir chez moi, vous verriez ce qu’on supporte et combien on souffre », soupire, fataliste, Aubrey Kutlawano.
Autour de lui, le stade du township d’Alexandra, au cœur de la mégapole de Johannesburg, s’est vidé en un clin d’œil, jeudi 11 avril. Les dernières notes de sa harangue à peine envolées, le président sud-africain Cyril Ramaphosa a fendu la foule entouré de ses gardes du corps et s’est engouffré dans sa limousine.
Près des grilles, des gamins se bousculent pour récupérer un tee-shirt aux couleurs noir, jaune et vert du Congrès national africain (ANC), dont les chefs se succèdent à la tête du pays depuis la chute de l’apartheid il y a un quart de siècle.
A 42 ans, Aubrey Kutlawano en a fini avec l’ANC. « Rien que des gens motivés par l’appât du gain qui travaillent pour eux seuls, fulmine-t-il. Cette fois je ne voterai pas. »
Depuis des semaines, Cyril Ramaphosa saute de tribunes en réunions aux quatre coins de l’Afrique du Sud pour tenter de convaincre ses 27 millions d’électeurs d’accorder une fois de plus leur voix à son parti aux élections générales du 8 mai.
« Repaire de criminels »
Tous les sondages lui prédisent encore une majorité absolue. Mais, sur le terrain, l’ancien syndicaliste proche de Nelson Mandela peine à contenir la déception, voire la colère de ses fidèles.
Spécialement à Alexandra. Sous les opulentes tours de verre et d’acier du quartier des affaires de Sandton, le township pourrait être la maison témoin des échecs de l’ANC.
Décharges et égouts à ciel ouvert, baraques exiguës aux toits de tôle ondulée, routes défoncées… La majeure partie des 200 000 habitants du quartier vivent, ou plutôt survivent, sans électricité, sans eau et sans emploi.
« Tout le monde se plaint qu’Alex est un repaire de criminels. Mais c’est parce que les gens n’ont pas de boulot », rouspète l’un d’eux, Kgomotso Mosepidi.
« On est obligé de voler pour vivre », explique ce père de huit enfants, diplômé en informatique et au chômage depuis cinq ans.
Ici, l’étranger est un bouc émissaire tout désigné.
« Ils viennent de leur pays, trouvent des logements et ne paient rien. Moi, citoyenne sud-africaine, je dois payer mon loyer, mon eau et mon électricité, vocifère Nana Zweni, mère de 44 ans sans emploi. L’Etat ne fait rien pour nous, ils ne sont là que pour récupérer nos voix. »
Même en colère, elle avoue pourtant qu’elle votera encore pour l’ANC. « C’est le mouvement de libération, ils nous ont rendu notre liberté. Et puis Cyril nous donne des raisons d’espérer, souligne-t-elle. Mieux vaut un diable que l’on connaît. »
C’est là tout le paradoxe de ce scrutin. Malgré les scandales de corruption, malgré le chômage, l’ANC garde la confiance d’une majorité de la population.
A 300 km au sud d’Alexandra, le chef de l’Etat nourrit les mêmes espoirs d’avenir meilleur.
Ce jour-là, les habitants du township de Thabong, dans la ville minière de Welkom, se pressent dans un champ aussi boueux que leurs rues pour accueillir le patron de l’ANC.
Leurs griefs sont nombreux. « Depuis qu’on est en démocratie, rien n’a vraiment changé, glisse Tau Mphasa, 54 ans au chômage depuis neuf ans. On vit toujours dans des baraques, on se bat toujours pour l’accès aux services de base. »
Mais lui aussi a décidé de donner encore une chance au parti de feu Nelson Mandela. « Mais c’est la dernière fois, assure-t-il. S’il ne tient pas ses promesses, j’irai voir ailleurs. »
« La responsabilité aux autres »
Aux déçus de Welkom comme à ceux de Johannesburg, le chef de l’Etat a promis des maisons neuves, des tablettes pour leurs enfants et « une vie meilleure ».
« Nous devons répondre à la douleur et à la souffrance de notre peuple », leur a-t-il lancé en ponctuant ses discours d’« Amandla ! » (« Pouvoir ! ») repris en chœur par la foule comme au temps de la lutte révolutionnaire.
A Alexandra, Cyril Ramaphosa n’a pu s’empêcher de griffer le maire d’opposition de Johannesburg, la plus grande ville du pays.
Cyril Ramaphosa en visite électorale dans le township de Khayelitsha, près de Cape Town, le 27 février 2019. / Sumaya Hisham / REUTERS
« Le gouvernement local est censé régler vos problèmes mais votre maire a peur de venir ici, a-t-il raillé. Il est l’heure de voter ANC ! »
Tout acquise à la cause du parti, la foule a applaudi à tout rompre. Sauf Respect Nethanani.
« Ils essaient de faire porter la responsabilité de la situation aux autres, mais ils sont au pouvoir depuis vingt-cinq ans, s’étrangle ce chômeur, encore un, de 34 ans. Je ne sais pas pour qui voter mais sûrement plus pour l’ANC. »
« Cyril est un bon gars, objecte Jacob Mpho, un indécrottable du parti. Je vais voter pour l’ANC car j’ai confiance en lui. Mais je pleure tous les jours. »