Samsung Galaxy Fold repoussé : la qualité des tests du constructeur en question
Samsung Galaxy Fold repoussé : la qualité des tests du constructeur en question
Par Nicolas Six
La marque coréenne a repoussé “sine die” la sortie du Fold, son smartphone qui se plie comme un livre, et récupéré les exemplaires prêtés aux journalistes. Comment expliquer ce spectaculaire faux départ ?
Cela devait être l’une des sorties les plus innovantes dans le monde des smartphones depuis des années. Elle n’a pourtant pas passé la première épreuve de la prise en main par la presse spécialisée. Deux exemplaires du smartphone pliable de Samsung, le Galaxy Fold, ont rencontré de graves problèmes d’affichage après deux jours d’une utilisation semble-t-il normale. Dans la foulée, Samsung a annoncé un report de la mise sur le marché du modèle, et récupéré les exemplaires de prêt distribués aux journalistes occidentaux.
Ce retrait soudain a confirmé les inquiétudes : les deux pannes constatées par des journalistes des médias américains The Verge et CNBC ne sont pas une petite alerte, mais un problème très sérieux. Samsung a distribué le Fold au compte-gouttes à la presse américaine. Deux exemplaires cassés en 48 heures représentent un taux d’échec difficilement tolérable.
Pourtant, le Fold est un produit clef pour Samsung, qui espère dans les prochaines années de grosses retombées commerciales avec cette innovation. La question se pose : comment une marque aussi experte que Samsung a-t-elle pu rater le coche à ce point ? Comment a-t-elle pu confier à des journalistes des smartphones si fragiles alors qu’ils devaient coûter 2020 euros ?
Un protocole inadapté ?
Ce ratage, d’une ampleur inédite, peut être comparé au problème de batteries inflammables qui a touché en 2016 le Note 7, un smartphone siglé Samsung. Mais dans un mobile, la batterie est un élément classique, une technologie maîtrisée depuis des années, même si les progrès sont constants. Personne ne doutait que Samsung parvienne, au bout du compte, à surmonter des soucis de batterie sur un produit phare comme l’est un smartphone.
Les dysfonctionnements rencontrés par le smartphone pliable Galaxy Fold sont d’un autre ordre. Ils concernent sa charnière pliante et son écran souple. Ces deux technologies innovantes conditionnent l’existence même des smartphones pliables. Et tous les regards sont tournés vers leur solidité, comme nous l’expliquions pendant la dernière édition du Mobile World Congress, le sommet dédié aux smartphones qui a eu lieu à Barcelone en mars.
On peut expliquer ce ratage de différentes manières, mais l’hypothèse la plus probable est qu’avant sa sortie, le Fold n’a pas été suffisamment testé. L’exercice était sans doute particulièrement délicat, même si Samsung dispose de laboratoires de bonne réputation où évaluer la robustesse des appareils électroniques.
Samsung teste la résistance aux chocs de sa gamme Galaxy en les faisant tomber dans un épais bac en métal. / SAMSUNG
« Samsung a nécessairement bâti un nouveau protocole de tests adapté au Fold. Ils ont un immense savoir-faire en la matière », juge Bertrand Czaicki, un ingénieur de formation qui supervise la conception des smartphones Crosscall, fabricant français de mobiles tout-terrain.
Le Fold a nécessairement subi une longue série de tests en laboratoire, dérivée du protocole que subissent les smartphones de la famille Galaxy S, détaillé dans ces photos publiées par la marque coréenne. On y voit un robot lâcher un smartphone dans un bac en métal, un autre simuler un humain qui s’assoit sur l’écran d’un mobile, un dernier bousculer le smartphone dans tous les sens, comme une machine à laver carrée.
Samsung simule l’écrasement d’un écran par un fessier – non représentatif de la variété des fessiers. / SAMSUNG
Dans une vidéo publiée fin mars, la marque coréenne montrait ainsi le Fold sur un banc de test qui pliait et dépliait son écran des milliers de fois. Mais puisque le Fold est radicalement nouveau, puisqu’il intègre une charnière complexe composée de plus de cent petites pièces, il est probable que Samsung dispose de moins de recul et d’expérience dans l’art de bâtir un protocole de test représentatif pour un tel modèle pliable.
Cible privilégiée de l’espionnage industriel
Or, « les évaluations techniques doivent impérativement être complétées par des tests d’usage » explique Bertrand Czaicki. Si un robot peut reproduire le même geste de test des milliers de fois à l’identique dans des conditions parfaitement similaires, il simule très imparfaitement les agressions de la vie de tous les jours. Ses mouvements stéréotypés d’ouverture d’un écran ne reproduisent pas les innombrables façons d’ouvrir un smartphone observables dans les mains de milliers d’utilisateurs.
Pour tous les modèles de smartphones, il faut compléter ces évaluations par des tests de terrain, qui seront d’autant meilleures qu’elles sont menées par un grand nombre de testeurs, dans des situations variées et représentatives de la diversité des usages courants.
Et c’est peut-être là l’autre difficulté rencontrée par Samsung. Plus que tout autre smartphone, le Fold était une cible privilégiée pour les professionnels de l’espionnage industriel. Avant son annonce fin 2018, si une photo du Fold avait circulé, elle aurait donné aux concurrents de Samsung deux informations précieuses : la taille de son écran et son format. Les smartphones pliables sont dans leur enfance, leurs formes diffèrent énormément d’un fabricant à l’autre. Pire encore : si elle avait confié des exemplaires du Fold à des employés pour qu’ils l’utilisent dans leur vie quotidienne, ils auraient pu le perdre. C’est ce qui est arrivé à Apple avec le prototype d’iPhone 4 retrouvé dans un bar en 2010, et immédiatement diffusé par un média américain avant même son annonce.
Prise en main du smartphone pliable de Huawei : le Mate X
Durée : 03:52
Pour éviter ces risques, il est possible que Samsung ait restreint l’ampleur de ses tests d’usage, interdisant peut-être même au Fold de sortir des parties les plus protégées de ses locaux. Car s’il est possible de maquiller un smartphone de nouvelle génération pour le faire passer inaperçu en public, comme l’a fait Apple par le passé, il est absolument impossible de maquiller un smartphone qui se plie en deux. Son format radicalement nouveau attire par nature les regards.
Sous la pression de Huawei
D’autres manières d’expliquer le faux départ du Fold existent. De deux choses l’une : soit Samsung ignorait que le Fold était fragile, soit Samsung savait. Or la marque subit actuellement la pression du fabricant chinois Huawei. Samsung tente depuis plus de sept ans de résoudre l’équation de la durabilité des smartphones pliables. Fatiguée d’attendre, sa direction pourrait avoir fait la sourde oreille aux avertissements de ses ingénieurs. La marque pourrait aussi avoir accéléré la sortie du Fold malgré le danger de défaillance élevé, en espérant corriger les problèmes dans la prochaine version du produit.
Dans tous les cas, cet épisode est fort dommageable pour la réputation de Samsung. Elle inquiétera aussi une petite minorité de consommateurs qui, comme beaucoup de journalistes, plaçaient beaucoup d’espoir dans ce smartphone d’un genre nouveau qui fait la synthèse entre le mobile et la tablette. Aujourd’hui, la question n’est plus de savoir « quand » le Fold sortira, mais « si » le Fold sortira. Seul l’avenir nous dira si ses problèmes de solidité peuvent être corrigés.