« Game of Thrones », épisode final : toutes les séries doivent mourir
« Game of Thrones », épisode final : toutes les séries doivent mourir
Par Audrey Fournier
Les fans de la série ont dit adieu à Westeros dans un dernier épisode à l’image de cette ultime saison 8, en demi-teinte.
(Comme dirait notre confrère William Audureau, cet article contient plus de spoilers que de cadavres à Port-Réal, c’est-à-dire beaucoup. Il est préférable de voir l’épisode avant de lire cette chronique.)
Daenerys, dans l’épisode final de « Game of Thrones ». / HBO
On le savait, cela ne pouvait pas bien se terminer. On serait déçu, déconcerté, amer… Forcément amer. La série la plus regardée, « streamée », téléchargée, piratée, commentée de tous les temps méritait une fin épique, démesurée, hors norme, exceptionnelle. Rien de moins. Ce ne fut pas le cas, et ça n’aurait pu l’être.
Fallait-il tuer tout le monde ? Etonnamment, le bain de sang attendu n’a pas eu lieu, et le finale de Game of Thrones, diffusé dimanche soir sur HBO et disponible en France sur OCS, se clôt avec un nombre de vivants, parmi les personnages principaux, surprenant. Finalement, « Les Noces pourpres » de la saison 3, qui virent la plupart des Stark massacrés, resteront un événement unique au cours des huit saisons qu’a duré « GoT ». Fallait-il écrire une fin heureuse ? Ce n’est pas le genre de la maison. Et pourtant, si l’on peut difficilement parler de happy end, les dernières minutes de cet ultime épisode ouvrent des perspectives bien plus lumineuses que les deux épisodes précédents, sans toutefois faire oublier ce petit goût de je-ne-sais-quoi, cette impression que tout n’a pas été dit, tout n’a pas été tourné, que trop de portes restent ouvertes et que notre cœur n’a pas tout à fait battu assez vite au cours de ces 115 dernières minutes.
Le long cri du dragon
Dans Port-Réal dévasté par Drogon, dernier enfant-dragon survivant de Daenerys Targaryen, Tyrion Lannister précède Jon Snow et ses combattants au milieu des cadavres et des débris fumants de la ville. Il neige, l’hiver est arrivé jusqu’au Sud. Le personnage le plus attachant de GoT jouera sa partition jusqu’au bout : assumant d’avoir trahi sa reine, il lui présentera sa démission avec un mépris à la hauteur des crimes dont la « Reine folle », la Khaleesi, s’est rendue coupable dans l’épisode précédent (l’un d’entre eux, et pas le moindre, n’est autre que de mortifier tous les parents ayant baptisé leur petite fille Daenerys). Non sans avoir auparavant pris soin de pleurer sur le cadavre des jumeaux Lannister, sa seule famille, dont il est désormais le dernier membre vivant.
Il ne fallait pas être devin pour se douter que les jours, voire les minutes, de Daenerys-la-tueuse-d’innocents étaient comptés. La question était surtout de savoir qui allait s’en charger, et comment. Beaucoup avaient misé sur Arya Stark, chouchoute de tous les fans, qui selon la prophétie de la sorcière Mélisandre tuerait « des yeux bleus, des yeux marron, des yeux verts » – et tous les téléspectateurs de s’interroger : mais au fait, de quelle couleur sont les yeux de Daenerys ?… –, c’est finalement son ancien amant qui, par un coup de poignard tendre et délicat droit dans le cœur (on appréciera la métaphore), mettra fin à son court règne.
Jon Snow est de retour (et il était temps, tant ce personnage si joliment écrit et incarné dans les précédentes saisons est sous-investi dans celle-là). S’ensuit ce qui restera peut-être la plus belle scène de cet épisode, dans laquelle Drogon épargne le meurtrier de sa mère pour s’en prendre au Trône de fer, qu’il fait fondre d’un long et terrifiant souffle enflammé. La roue est brisée : le « jeu » est fini. Le long cri du dragon, lorsqu’il emporte le cadavre de Daenerys au loin, dit toute la détresse de cette créature désormais orpheline. Et dit aussi la nôtre, nous qui serons bientôt orphelins de cette longue et belle saga. On a le droit de verser une larme, ce sera probablement la seule de tout l’épisode…
Plus assez de temps pour boucler l’intrigue
Il reste en effet à peu près trois quarts d’heure et de dossiers à boucler avant de pouvoir lancer le générique de fin. Daenerys morte, Jon Snow et Tyrion prisonniers, Westeros n’a plus de tête. Et vu qu’il ne reste plus assez de temps (ni d’argent) pour mettre en scène une nouvelle bataille, c’est autour d’une table, ou plutôt dans la cour du palais royal détruit, que va se sceller le sort du royaume des Sept Couronnes. Cette assemblée en forme de Yalta réunit les derniers souverains et notables survivants : les enfants Stark, Samwell Tarly, Gendry Baratheon, Yara Greyjoy, Brienne de Torth…
Samwell l’intellectuel proposera des élections libres, et suscitera l’hilarité (même dans les séries, la démocratie n’a plus la cote). Plus réaliste, Tyrion plaide, lui, pour que le roi ou la reine soit choisi, et que la charge ne soit plus héritée, ce qui serait déjà, pour l’époque et le lieu, un sacré progrès. Lequel est donc « le meilleur d’entre nous » ? Visiblement, et c’est une des nombreuses bizarreries de cette fin de saison, celui qui fait l’unanimité est « Bran le Brisé », « corneille à trois yeux » sage et visionnaire qui, parce qu’il ne pouvait plus marcher, « a appris à voler ». Ce n’est donc pas une femme qui montera sur le trône, comme on l’imaginait depuis que la série a débarqué sur les écrans, il y a huit ans, mais un handicapé. On peut en ricaner, se dire que décidément, le politiquement correct l’aura emporté sur la crédibilité du récit ; on peut aussi y voir une forme de bon sens populaire : seul celui qui garde la mémoire des erreurs passées est à même d’envisager l’avenir. On est d’accord, c’est un peu court.
Petites joies
Scepticisme mis à part, cet épisode final recèle néanmoins de petites joies, l’une d’entre elles étant que le Lutin finisse les huit saisons sain et sauf, ce qui n’était vraiment pas gagné. Revers de la médaille : le voilà contraint de rempiler comme Main du roi, alors qu’il se serait sûrement bien vu retourner à son lupanar et à son vin. Il n’aura pas démérité : tout au long des huit saisons, les répliques les plus croustillantes sont souvent sorties de sa bouche.
Reste une grande partition inachevée, celle de Sansa Stark, dont le personnage a traversé les épreuves les plus sordides sans, tel un roseau, jamais rompre. Frivole, égoïste, l’enfant gâtée s’est muée en reine déterminée, pragmatique bien qu’imparfaite, assumant un rôle ingrat auprès de son frère Jon Snow. Les scénaristes n’auront pas fait de cadeau à son personnage, celui dont l’évolution est pourtant la plus intéressante, dans cette dernière saison. Le fait qu’elle conserve la couronne de Winterfell, qu’elle a défendue bec et ongles, paraît la moindre des choses. On attendait mieux pour les plus beaux yeux de Westeros…
Enfin, l’avènement du règne de la maison Stark à Port-Réal signe le départ de deux d’entre eux, confrontés au destin qui veut qu’ils vivent séparés les uns des autres. Jon Snow le bien nommé retournera dans le Nord « prendre le noir » pour éviter la condamnation à mort (souvenons-nous que Mélisandre n’est plus là pour le ramener à la vie) ; Arya, la tueuse du Roi de la nuit, reprendra la route à la conquête de l’ouest de Westeros, là où personne n’est jamais allé. Ça tombe bien, « une fille n’est personne ».