Canicule : « Les pratiques et savoirs ancestraux des villages de Grèce sont riches d’enseignements »
Canicule : « Les pratiques et savoirs ancestraux des villages de Grèce sont riches d’enseignements »
Propos recueillis par Jérémie Lamothe
Sols artificiels, peu de végétalisation, pollution atmosphérique… Il fait souvent plus chaud en ville qu’à la campagne. Solène Marry, docteure en urbanisme à l’Ademe, revient sur le phénomène des îlots de chaleur urbains.
Sols artificiels, faible végétalisation, pollution atmosphérique… En cette période de canicule exceptionnelle, les habitants des villes souffrent encore davantage que ceux des campagnes. Pour Solène Marry, docteure en urbanisme à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), l’organisation et l’aménagement des villes contribuent à cette accentuation de la chaleur. Mais des solutions, parfois ancestrales, existent pour contrer ce phénomène.
En quoi l’urbanisme des villes et la manière dont elles ont été organisées depuis plusieurs décennies accentuent l’effet de chaleur ?
Solène Marry : Il faut en premier lieu rappeler que le réchauffement climatique est lié aux activités humaines, comme le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) l’a démontré. Mais l’organisation et l’aménagement des territoires contribuent en effet aussi à l’accentuation de la surchauffe.
Plus le tissu urbain est organisé, comme dans la plupart des villes nord-américaines qui ont des rues très rectilignes et un plan en damier, plus la chaleur est piégée. A l’inverse, plus le tissu est sinueux, comme dans de nombreux cœurs de villes historiques, plus la chaleur s’évacue facilement. C’est ce qu’ont mis en lumière les travaux de recherche menés notamment par les équipes françaises et américaines de l’Unité mixte internationale MSE (CNRS-MIT) et du Centre interdisciplinaire des nanosciences de Marseille (CNRS-Aix-Marseille université). Sur une cinquantaine de villes étudiées à travers le monde, il a ainsi été démontré que les effets des îlots de chaleur variaient nettement selon le tissu urbain.
Les matériaux utilisés ont-ils également des conséquences ?
Le choix des matériaux de construction et des infrastructures urbaines, la place de la végétation et de l’eau sont déterminants, tant l’imperméabilité des revêtements et la capacité d’absorption vis-à-vis du rayonnement solaire des matériaux vont accentuer le réchauffement de la zone urbaine.
La couleur sombre qui est utilisée pour l’asphalte, par exemple, accentue la chaleur. Les pratiques et savoirs ancestraux des villages de certaines latitudes, comme en Grèce, entièrement blancs et aux ruelles sinueuses, sont riches d’enseignements à ce titre. Les matériaux et leur couleur peuvent jouer sur l’albédo qui représente, sur une échelle de 0 à 1, le pouvoir de réflexion des rayons du soleil dans l’espace – plus le taux s’approche de 1, plus la surface est peu réfléchissante, accumule des rayons de soleil et donc de la chaleur. C’est là où les collectivités ont un rôle à jouer en imposant par exemple, dans leurs appels d’offres, des critères environnementaux exigeants. Certaines intègrent déjà les enjeux climatiques dans leurs documents de planification urbaine.
De quel ordre peuvent être les écarts de température créés par les îlots de chaleur ?
L’écart peut varier de 2 °C à 12 °C entre une ville et les zones rurales environnantes. Par une journée ensoleillée de 26 degrés (à l’ombre), un toit exposé au soleil peut atteindre une température de 80 °C si sa couleur est foncée, 45 °C si sa couleur est blanche et seulement 29 °C s’il est couvert de végétaux. Mais au-delà de 10 mètres, la contribution au rafraîchissement urbain se réduit fortement.
Il faut donc mettre ou remettre de la nature en ville mais de manière intelligente, adaptée à chaque contexte urbain. Car en cas de canicule, le manque de rafraîchissement nocturne en ville est un réel enjeu de confort, voire de santé pour les populations sensibles.
Certaines villes ont-elles commencé à agir ?
Avec 127 m2 d’espaces verts par habitant, Grande-Synthe (Nord) s’est imposée comme la ville la plus nature de France et démontre qu’il est possible de densifier une ville en combinant habitat collectif (63 % de logements sociaux) et espaces verts. En 1972, 100 000 arbres ont été plantés dans cette zone de polders, qui est aujourd’hui une forêt de 48 hectares. Parmi d’autres exemples de solutions, Québec, mais aussi Paris, végétalisent les cours d’écoles.
Dans les secteurs les plus denses, les différentes surfaces (toitures, façades, voiries, places de stationnement, voies de tramway), peuvent être des opportunités à la végétalisation mais il faut aussi se questionner sur la renaturation des sols, et donc permettre de réintégrer des surfaces perméables. Dans le secteur de la Part-Dieu à Lyon, par exemple, a été mis en place un projet de récupération des eaux pour permettre notamment d’humidifier la chaussée, ce qui a un fort impact sur la température de surface.
Une notion émergente est aussi celle de réversibilité : par exemple, la possibilité pour un bâtiment, un îlot urbain ou un équipement de changer radicalement de fonction le moment venu. Résilience et réversibilité sont donc aujourd’hui deux stratégies en matière de politique et d’ingénierie urbaines permettant d’apporter des réponses concrètes à l’urgence climatique et sociale.
Canicule : ce qu'il faut boire et manger pour supporter le coup de chaud
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