« Derniers jours d’un médecin de campagne » : une espèce en voie de disparition
« Derniers jours d’un médecin de campagne » : une espèce en voie de disparition
Par Mouna El Mokhtari
Le documentariste Olivier Ducray a suivi un généraliste d’un petit village de Haut-Saône qui essaie de partir à la retraite.
« J’ai peur de m’arrêter, parce que je vais perdre ce lien social. Je vais perdre cette notion de servir à quelque chose. Je vais perdre mon identité. » Le docteur Patrick Laine a 67 ans, bientôt 68. Il est médecin généraliste à la campagne et le documentariste Olivier Ducray a suivi son quotidien, surchargé. Animé par l’idée d’être utile et séduit par l’aspect relationnel de son métier, il s’est installé à Saulnot il y a trente-six ans, en 1983. Aujourd’hui, les derniers jours d’activité de ce médecin de campagne s’étirent à l’infini. Car il se cherche, sans succès jusqu’ici, un successeur. Y compris en postant des annonces sur Leboncoin.
A Saulnot, un village de 800 âmes de Haute-Saône, niché entre Montbéliard et Vesoul, le repreneur se fait attendre. « La médecine générale est une espèce en voie de disparition, déplore le médecin en participant à un débat public. En France, l’âge moyen du généraliste est de 52 ans. 26 % des généralistes ont 60 ans et plus. Dans certains bassins de population, 100 % des médecins généralistes ont plus de 55 ans. Vous imaginez dans dix ans ce que ça va donner. »
Au volant de sa voiture, toujours sur la route, le docteur Laine fait le diagnostic : la profession, telle qu’il la pratique, n’attire plus les jeunes médecins. D’autant qu’au fil des réformes, le métier, qui n’a jamais été très valorisé en fac de médecine, évolue. Pour le docteur Laine, le futur médecin généraliste sera une « gare de triage » vers les médecines spécialisées et l’essentiel de ses tâches seront administratives. A contresens, pour lui, de ce qu’il doit être en milieu rural : un médecin de famille – à défaut d’en être un membre à part entière, comme les petits plats et les légumes offerts par les patients en témoignent –, au service de plusieurs générations de patients isolés.
« Soigner l’humain »
« Ecoute », « empathie », « adaptation », le médecin égrène les qualités nécessaires à la pratique en milieu rural. « Le spécialiste soigne l’organe, nous, nous soignons l’humain. » « Je sais que ma venue fait partie du traitement », explique le médecin qui raconte comment ses patients l’appellent parfois pour de la « bobologie » alors qu’ils souffrent principalement de leur isolement et d’un déficit d’échanges sociaux. En témoigne cette scène poignante où le médecin visite une dernière fois Suzanne, qui quitte son domicile pour un Ehpad.
« Mon stress, c’est ma montre », confie ce médecin qui ne dit jamais non et se déplace à toute heure du jour et de la nuit. « Pour faire bien ce métier, il faut être bien accompagné », démystifie-t-il. Son épouse gère tout l’administratif. En abordant ses douleurs dans le dos, le médecin s’autorise à évoquer l’usure. Mais pas question « d’abandonner » ses patients, avec qui il a vieilli et qui prennent soin de lui autant qu’il prend soin d’eux. Face à une médecine qui prend ses distances en ville, via les centres, maisons de santé et autres cabinets pluridisciplinaires, « que vont devenir les personnes âgées qui n’ont pas d’autonomie ? », interroge le médecin.
Le documentaire sera suivi d’un débat intitulé « Médecins de campagne : quand s’arrêtera l’hémorragie ? », en présence d’Audrey Dufeu Schubert, députée LRM de Loire-Atlantique, Michel Carreric, secrétaire de l’Association de citoyens contre les déserts médicaux, Guillaume Garot, député socialiste de la Mayenne, et du docteur Philippe Vermesch, président du Syndicat des médecins libéraux.
« Derniers jours d’un médecin de campagne », documentaire d’Olivier Ducray, France, 2018.
lcp.fr/emissions/283262-derniers-jours-dun-medecin-de-campagne