Des fleurs ont été déposées devant le centre commercial d’El Paso, où vingt personnes ont été tuées lors d’une attaque qualifiée de « terrorisme intérieur » par les autorités. / ANDRES LEIGHTON / AP

Le sulfureux forum 8chan n’est plus accessible depuis lundi 5 août au matin, a constaté Le Monde. Après avoir tergiversé, l’entreprise Cloudflare a annoncé dans la nuit avoir cessé de fournir ses services au site polémique, estimant qu’il avait « franchi une ligne » en laissant un de ses utilisateurs commettre une tuerie.

L’auteur présumé de l’attentat d’El Paso (Texas), qui a fait vingt morts et vingt-six blessés samedi 3 août, est en effet soupçonné d’y avoir posté un lien vers un manifeste justifiant son attaque, quelques minutes avant celle-ci. Cloudflare est un réseau de diffusion de contenus (CDN) utilisé par 19 millions de sites Web, selon l’entreprise. Il s’intercale entre le site et ses visiteurs pour fournir certains services – accès plus rapide, protection contre les attaques par déni de service…

C’est la troisième fois en six mois qu’un usager de ce forum d’extrême droite anglophone est lié à une attaque meurtrière. Brenton Tarrant, le terroriste australien à l’origine du massacre de Christchurch en Nouvelle-Zélande, qui avait fait cinquante morts en mars, avait déjà fait usage de 8chan pour annoncer son acte et partager un manifeste de soixante-dix pages ainsi qu’un lien vers une vidéo de la tuerie diffusée en direct sur Facebook. En avril 2019, un homme de 19 ans y a mis en ligne une lettre ouverte au contenu antisémite avant d’entrer dans une synagogue et de tuer une femme et de faire trois blessés à Poway (Californie).

Depuis le dernier épisode tragique en date, la tuerie d’El Paso, qualifiée de « terrorisme intérieur » par les autorités fédérales du Texas, la presse américaine insiste sur le rôle joué par ce forum, qualifié de « mégaphone pour hommes armés » par le New York Times.

Le site d’enquête en ligne Bellingcat souligne en particulier l’émulation qui règne parmi ses utilisateurs, qui glorifient les attentats et comparent le nombre de victimes à des scores de jeu vidéo à battre. « Tant que les autorités et les médias ne considéreront pas ces tireurs comme faisant partie d’un mouvement terroriste, ni moins organisé ni moins mortel que l’organisation Etat islamique ou Al-Qaida, la violence continuera », pronostique son journaliste Robert Evans.

Pour son fondateur, 8chan « ne fait de bien à personne »

Le fondateur de 8chan, Fredrick Brennan, a lui-même appelé de ses vœux sa disparition dans une interview au New York Times publiée dimanche. « Fermez le site. Il ne fait de bien à personne. Il est préjudiciable pour tous, sauf pour les utilisateurs qui y sont. Et vous savez quoi ? Il est préjudiciable pour eux aussi. C’est juste qu’ils ne s’en rendent pas compte. »

M. Brennan a créé 8chan en 2013 pour offrir une alternative à 4chan, forum déjà sulfureux, dont il ne goûtait pas la modération de plus en plus présente. La popularité de 8chan a explosé en 2014 au moment du « GamerGate », importante querelle ayant opposé, dans la communauté des joueurs du jeu vidéo, partisans et opposants aux discours féministes et inclusifs. En 2016, année durant laquelle Fredrick Brennan s’en est éloigné, le forum est devenu le repaire d’une nouvelle forme de xénophobie décomplexée et l’un des principaux soutiens en ligne de la campagne de Donald Trump.

Il est aujourd’hui géré par Jim Watkins, un Américain vivant aux Philippines, qui ne s’est pas exprimé depuis l’attentat d’El Paso. Après la tuerie de Christchurch, il avait rejeté la responsabilité entière sur le terroriste Brenton Tarrant, estimant que 8chan, comme Facebook, sur lequel sa tuerie avait été retransmise en direct, n’avaient été que des « outils ».

8chan a beau être inaccessible depuis la sanction de Cloudflare, cela ne signifie pas sa disparition définitive. Le fournisseur de services Internet, qui avait dans un premier temps expliqué au Guardian qu’il était de sa responsabilité de maintenir le forum en ligne, a rappelé le précédent du Daily Stormer. L’influent site d’actualité néonazi utilisait, lui aussi, les services de l’entreprise. La coupure de Cloudflare l’a rendu inaccessible quelques heures, avant qu’il ne réapparaisse en faisant appel à un concurrent.