Une manifestation lors de la Journée internationale pour l’élimination des violences faites aux femmes, le 24 novembre 2018, à Paris. / AFP

« Viande à viol », « Regardez la paire qu’elle a, on se branlerait bien dessus ! », « Eh, je te parle, salope ! Tu t’habilles en petite pute et tu ne me réponds pas ? »… Depuis l’entrée en vigueur de la loi Schiappa en août dernier, quelque 713 contraventions ont été dressées pour les « propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste » dégradants, humiliants, intimidants, hostiles ou offensants.

Une « avancée » selon les associations féministes, qui en dénoncent cependant les limites. Car si, en théorie, le harcèlement sexiste dans la rue ou les transports est passible de 90 euros d’amende – voire de 1 500 euros en cas de circonstance aggravante, si la victime est mineure par exemple –, la majorité des contraventions ont été effectuées en flagrant délit, reconnaît le cabinet de la secrétaire d’Etat chargée de l’égalité femmes/hommes, Marlène Schiappa.

« Un pansement sur une plaie béante »

Pour les associations féministes, qui alertent depuis des années sur l’ampleur du phénomène et ses conséquences sur les victimes, cette loi a certes constitué une avancée, au moins symbolique. Mais certaines militantes estiment que son impact réel est marginal, et réclament une véritable politique de « prévention ».

« Il ne faudrait pas que le chiffre des verbalisations devienne le chiffre officiel servant à quantifier le phénomène », beaucoup plus répandu que ne pourraient le laisser supposer les 713 amendes recensées, estime la militante marseillaise Anaïs Bourdet. Menaces de viol, agressions verbales, commentaires dégradants et injurieux : pendant sept ans, sur son site participatif « Paye ta shnek », elle a recueilli quelque 15 000 témoignages de femmes victimes.

Amère de constater que le harcèlement et les agressions verbales « sont toujours aussi fréquents », et n’arrivant plus à « digérer toute cette violence », elle a annoncé le 23 juin qu’elle arrêtait sa recension.

Pour elle, la loi Schiappa relève de la « communication » gouvernementale, notamment parce que la nécessité de faire constater les faits en flagrant délit la rend peu applicable : « Même si les harceleurs ne sont pas très intelligents, ils ne vont pas agir devant un agent de police ! » Surtout, « il faut se pencher sur l’origine du problème, en mettant l’accent sur la prévention, pour changer les mentalités dès la maternelle. Sinon, c’est un pansement sur une plaie béante ».

Plaignantes mal reçues par la police

Un constat partagé par l’association Stop au harcèlement de rue, créée en 2014. Les quelque 700 amendes infligées depuis un an montrent que « l’impunité n’est pas totale, et c’est tant mieux », mais ce chiffre est « très éloigné de la réalité, car les femmes qui se font harceler, c’est tous les jours », relève Julie Peigné, l’un des militantes.

En outre, les femmes qui souhaitent porter plainte sont souvent mal reçues par la police. Selon elle, « on leur demande si elles avaient bu ou comment elles étaient habillées, ou bien on leur dit que ce n’est pas grave, qu’elles vont s’en remettre ». Lancée le 12 mars par le Groupe F et le site « Paye ta police », une enquête sur l’accueil des victimes avait d’ailleurs suscité en dix jours plus de 500 témoignages relayés sur le hashtag #payetaplainte, selon les initiateurs, qui voient dans la police et la gendarmerie « le maillon indispensable pour en finir avec les violences sexistes et sexuelles ».

Dans neuf cas sur dix, les témoignages de faits plus ou moins récents (70 % datent de moins de cinq ans) font état d’une mauvaise prise en charge, « le fait le plus fréquent étant le refus de prendre une plainte ou le découragement de la victime à porter plainte ». Viennent ensuite « la remise en question de l’importance des faits » et « la culpabilisation des victimes », selon l’enquête.

Entraide

Autre phénomène contre lequel la loi ne peut rien : sur « Paye ta shnek », beaucoup de victimes regrettent que personne ne soit intervenu pour les défendre lorsqu’elles ont été agressées ou dénigrées en public.

C’est en partie pour pallier ce manque que d’autres militants ont imaginé une application sur Smartphone, baptisée HandsAway (littéralement, « bas les pattes »). Lancée en octobre 2016, elle compte 40 000 utilisateurs inscrits. Lorsqu’une femme est importunée, elle peut y déclencher une alerte géolocalisée : les utilisatrices à proximité sont ainsi averties de la présence d’un harceleur, et celle qui a déclenché l’alerte reçoit des messages de soutien des autres utilisateurs – y compris des hommes – qui peuvent l’aiguiller vers une structure d’accueil ou un commissariat.

Frappée par un harceleur à Paris, Marie témoigne
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