200 millions de dollars pour protéger la forêt du Congo
200 millions de dollars pour protéger la forêt du Congo
Par Laurence Caramel (New York, envoyée spéciale)
La RDC, qui abrite 7 % des forêts tropicales du monde, va bénéficier du soutien financier de la Norvège pour mettre en œuvre une stratégie de développement durable.
Dans la province de l'Equateur, dans le nord du Congo en 2004. | David Lewis/Reuters
Le chemin aura été long et semé d’obstacles avant de parvenir à l’accord qui a été signé, vendredi 22 avril, entre la République démocratique du Congo (RDC) et la Norvège pour protéger 7 % des forêts tropicales. Soit 155 millions d’hectares dans un pays de 70 millions d’habitants aussi grand que l’Europe occidentale et parmi les plus pauvres de la planète.
La somme mise sur la table par la Norvège – 200 millions de dollars (177,3 millions d’euros) au cours des cinq prochaines années – n’est en rien comparable au milliard de dollars offerts au Brésil en 2008, ni à celui offert à l’Indonésie deux ans plus tard. Elle est inférieure au contrat passé avec le petit Guyana – 1 million d’habitants, 15 millions d’hectares de forêts – en 2009. Cela en dit long sur la prudence avec laquelle le bailleur a choisi d’avancer avec ce pays où, comme l’on dit pudiquement dans les organisations internationales, il subsiste des problèmes de « bonne gouvernance ». La Norvège – dont l’argent est depuis une dizaine d’années derrière tous les grands programmes de protection des forêts tropicales – a cependant choisi d’ouvrir la voie.
Les preuves d’un argent bien investi
« La déforestation dans le bassin du Congo est moins importante qu’en Amazonie ou en Asie du Sud-Est, mais elle s’accélère. Nous devons intervenir maintenant, même si c’est plus complexe qu’ailleurs. C’est notre responsabilité. La protection des forêts tropicales représente un quart de la solution dans le combat contre le changement climatique », défend le ministre du climat et de l’environnement norvégien, Vidar Helgesen.
Il y avait aussi urgence à envoyer un signal positif à un pays qui, depuis la conférence de Copenhague en 2009, s’est engagé dans le laborieux processus REDD (réduction des émissions liées à la dégradation des forêts et à la déforestation), censé récompenser en monnaie sonnante et trébuchante les pays qui préservent leurs puits de carbone forestiers.
Près de 25 millions de dollars ont été dépensés simplement pour évaluer le stock de carbone en jeu (27 milliards de tonnes), échafauder des scénarios mettant en scène l’impact d’une démographie galopante sur la consommation de terres, la poussée de l’agrobusiness dans le secteur de l’huile de palme, la multiplication des grandes concessions forestières, financer quelques projets pilotes et, finalement, élaborer un plan d’action aux standards exigés par la Convention des Nations unies sur le climat.
L’accord signé vendredi dans le cadre de l’Initiative pour les forêts d’Afrique centrale – un partenariat regroupant six pays de la région (Congo, RDC, Gabon, Centrafrique, Cameroun, Guinée -Equatoriale) et une coalition de bailleurs (Norvège, Allemagne, France, Royaume-Uni, Union européenne) – vise donc à soutenir la stratégie nationale de lutte contre la déforestation officiellement adoptée en 2012. « Cet accord va nous permettre d’engager des réformes clés sur l’utilisation de terres et le droit foncier, puis d’agir sur tous les moteurs de la déforestation », explique Victor Kabengele, son coordinateur national, qui donne pour exemple le projet d’orienter les grands investissements agricoles sur les 8 millions d’hectares de savanes abandonnées plutôt que dans les zones forestières. Ou encore de proposer aux ménages urbains des foyers améliorés fonctionnant au gaz pour réduire la consommation de charbon de bois qui, avec l’agriculture sur brûlis, est la principale cause du recul du couvert forestier.
Campagne de Greenpeace pour alerter sur la déforestation mondiale et le commerce illégal de bois, notamment au Congo, le 22 mai 2014 au port de La Rochelle. | XAVIER LEOTY / AFP
Compte tenu de l’immensité du territoire, les actions se concentreront surtout dans deux provinces où le taux de déforestation est plus élevé : l’Equateur et Maï-Ndombe, limitrophe de la capitale Kinshasa et de ses 11 millions d’habitants.
L’argent promis par la Norvège sera décaissé en deux étapes, dont la seconde, en 2018, sera soumise à l’évaluation des résultats. Il sera versé dans un fonds national et le Programme des nations unies pour le développement (PNUD), qui a accompagné le gouvernement congolais au cours de toutes ces années de préparation, en sera l’administrateur. « Il faut que nos contribuables soient sûrs que leur argent est bien investi si nous voulons aller plus loin avec le Congo, a averti le ministre norvégien. Nous devons montrer que cet argent va servir à développer le Congo, à créer des emplois tout en préservant l’environnement. »
Mauvaise réputation
La RDC va devoir rompre avec sa mauvaise réputation qui lui vaut depuis des années de la part des organisations écologistes des campagnes dénonçant l’ampleur d’une exploitation illégale pratiquée sous le regard consentant de l’administration forestière. « Près de 90 % de l’exploitation forestière en RDC est à petite échelle, illégale ou informelle. La récolte de bois réelle est actuellement environ huit fois la récolte officielle, écrivait en 2014 Sam Lawson, dans une étude de Chatham House. Le gouvernement n’a apporté qu’une piètre réponse au problème de l’exploitation illégale des forêts, traduisant le faible niveau de gouvernance du pays. » La consultation insuffisante des communautés a par ailleurs débouché sur de violents conflits avec des grandes entreprises détentrices de concessions.
Victor Kabengele assure qu’il s’agit là d’une époque révolue : « Notre droit foncier reconnaît les droits des communautés locales et autochtones. La RDC défend le principe du consentement libre et préalable [principe imposé par les Nations unies] qui doit précéder toute transaction foncière. » A voir. Tout comme sera mise à l’épreuve la capacité du gouvernement à ne pas sacrifier les aires naturelles protégées à l’exploitation minière et pétrolière. Dans l’est du pays, l’avenir du parc national des Virunga, le plus vieux parc naturel d’Afrique, reste toujours suspendu aux visées des pétroliers.
Pour protéger sa forêt, la RDC aura besoin de davantage que 200 millions de dollars. M. Kabengele avance le chiffre de 1,1 milliard de dollars. Mais il n’est plus question des 3 milliards de dollars par an – autant que le budget national de l’époque – que sollicitait le ministre de l’environnement, José Endundo, à la veille de la conférence de Copenhague pour « compenser les populations qui vivent de la forêt et à qui on ne peut demander de ne pas couper les arbres sans leur offrir quelque chose ». C’était au temps, où certains pays forestiers croyaient pouvoir rêver d’une nouvelle rente alimentée par le marché du carbone. La réalité a montré que l’argent ne pousse pas si facilement sur les arbres.