« La prohibition du cannabis en France mérite d’être discutée ». Jean-Marie Le Guen a pris position lundi 11 avril sur BFM TV contre la politique actuelle de lutte contre la drogue qui « n’amène pas la diminution de la consommation ».

Jeudi 7 avril, justement, une étude de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) montrait les limites de l’action de l’État. En vingt ans, le nombre d’affaires liées aux stupéfiants a explosé, mais ce sont surtout les simples consommateurs, plus que les trafiquants, qui sont visés. Tour d’horizon en chiffres.

1. L’explosion des affaires d’« usage simple » de drogue

L’un des intérêts de cette étude est qu’elle distingue des catégories d’affaires : « usage simple », « usage revente », « trafic local », « trafic international »… Un degré de précision qui va au-delà de la loi, qui ne distingue que l’usage et le trafic de drogue. Principal enseignement : le nombre d’affaires liées à un « usage simple » a été multiplié par sept en vingt ans quand les autres types d’affaires ont doublé ou triplé.

L'évolution du nombre d'affaires d'infractions à la législation sur les stupéfiants (ILS) de 1990 à 2010
L’année 2006 a présenté des problèmes ponctuels de remontée informatique qui ont impliqué un nombre élevé d’affaires non qualifiées.

2. Seules 10 % des affaires concernent un revendeur ou un trafiquant

Ces chiffres montrent la « mobilisation des services de police et des unités de gendarmerie » mais interroge sur les résultats d’autant d’efforts. En vingt ans, dans un contexte de forte hausse globale, ce sont surtout les affaires concernant les simples consommateurs qui ont augmenté, passant d’environ 7 cas sur 10 à de 9 cas sur 10, au détriment des affaires impliquant un revendeur ou un trafiquant.

Les affaires liées à la drogue en France. | Les Décodeurs

3. Surtout des affaires liées au cannabis

Le cannabis est, de longue date, la drogue la plus fréquemment impliquée dans ces affaires. Mais dans des proportions beaucoup plus importantes en 2010 (9 cas sur 10) qu’en 1990 (7 cas sur 10). Ensuite, on trouve, l’héroïne, la cocaïne et, dans une moindre mesure, les drogues de synthèse.

Evolution des affaires selon les drogues concernées
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4. La part des trafiquants dans les interpellations a baissé en vingt ans

Sans surprise, ces tendances se confirment dans les chiffres des interpellations. Selon les cas, une affaire peut donner lieu à une ou plusieurs interpellations. En 1990, 73 % concernaient des simples usagers. Cette proportion est passée à 84,7 % en 2010. Sur 140 760 consommateurs visés, 126 369 étaient des consommateurs de cannabis. À l’inverse, la part des trafiquants locaux et internationaux a chuté (de 11,1 % à 6,2 % pour les premiers et de 3,3 % à 1,0 % pour les seconds).

Interrogé par La Croix, Christophe Rouget, du Syndicat des cadres de la sécurité intérieure, déplore la pression des chiffres :

« La répression du trafic est devenue très compliquée car elle nécessite des enquêtes longues, internationales, avec des moyens technologiques comme les écoutes qui sont difficiles à mettre en place. Avec la pression de la politique du chiffre, un chef de service peut aussi avoir davantage intérêt à faire beaucoup de dossiers plutôt que d’en faire des gros, moins nombreux. »
Personnes interpellées selon la nature de l'affaire

5. Les tribunaux engorgés par les affaires de drogue

Principale conséquence de cette masse d’interpellations : les tribunaux croulent sous les dossiers d’affaires de stupéfiants. En 2014, 58 406 condamnations ont été prononcées pour des infractions de ce type (trafic et usage confondus), selon les chiffres du ministère de la justice. Elles représentent environ une condamnation sur 10 en France et sont presque trois fois plus nombreuses qu’en 2001.

Evolution des condamnations en France depuis 2001
Les chiffres pour l'année 2008 n'étaient pas disponibles en ligne

Parmi ces condamnations, de nombreux dossiers concernent de simples usagers de cannabis (les proportions ne sont pas précisées). Un consommateur est en effet passible d’un an de prison et de 3 750 euros d’amende.

6. Et pourtant, la France est l’un des pays où l’on consomme le plus de cannabis en Europe

La répression accrue, qui se concentre sur les consommateurs, n’a pas d’effet dissuasif sur l’usage de drogue. Une étude du think tank Terra Nova publiée par Le Monde en 2014 indiquait que 8,44 % des Français consomment occasionnellement du cannabis, une proportion moindre qu’en Espagne, mais supérieure à beaucoup de pays voisins comme l’Allemagne (4,5 %) ou la Belgique (5,1 %).

32 % de la population a déjà consommé du cannabis. | Les Décodeurs