A France Télévisions, Michel Field dans la tourmente
A France Télévisions, Michel Field dans la tourmente
LE MONDE ECONOMIE
Critiqué pour ses méthodes, le directeur de l’information est également accusé d’avoir cédé à des pressions de l’Elysée avant l’émission « Dialogue citoyen » avec François Hollande, jeudi 14 avril sur France 2.
Michel Field, directeur de l’information de France Télévisions, est jugé méprisant par ses équipes et trop conciliant avec l’Elysée. | Tristan Paviot/FTV
Entre Michel Field et la rédaction de France Télévisions, la crise couvait depuis quelques semaines. Elle a éclaté, dimanche 10 avril, quand le directeur exécutif chargé de l’information n’a pas résisté au plaisir de quelques bons mots lâchés sur le plateau de l’émission « Le Supplément » de Canal+, des propos jugés « insultants » par ses équipes.
Critiqué pour ses méthodes, M. Field se voit aussi reprocher, selon des sources internes, d’avoir été trop conciliant avec les demandes de l’Elysée dans la préparation de l’émission « Dialogue citoyen » avec François Hollande, prévue jeudi 14 avril sur France 2.
Selon ces sources, M. Field a accepté de retirer deux noms de la liste de six Français qui devaient interroger M. Hollande au cours de cette émission de haute importance pour le président de la République, qui cherche à rebondir avant 2017. L’un est un agriculteur, l’autre est Nadine Hourmant, déléguée syndicale Force ouvrière (FO) du volailler Doux, connue pour avoir dénoncé en 2014, sur le plateau de « Des paroles et des actes », les « cadeaux » fiscaux du gouvernement socialiste au patronat. Autre grief : France Télévisions aurait envoyé le « conducteur » de l’émission à l’Elysée – une pratique inhabituelle.
« Des raisons de sécurité »
Contacté, M. Field nie avoir cédé à des pressions de la présidence. Il reconnaît que ces deux témoins « pressentis » ont été écartés. « C’était une volonté de notre part, pas une demande de l’Elysée, assure-t-il. Avoir moins de citoyens permettait d’avoir un vrai dialogue, pas seulement un témoignage, une question et une réponse du président, et puis c’est tout. » Autre explication, selon M. Field : l’émission a été concentrée sur les thèmes du travail, du terrorisme et de la crise démocratique. Le sujet de la crise agricole, qui concernait, selon lui, l’agriculteur et la syndicaliste FO, aurait été finalement écarté.
Mais cette version ne correspond pas à celle de la déléguée syndicale, que Le Parisien a interrogée, lundi. « Je devais parler de la loi El Khomri, affirme Nadine Hourmant. Une équipe de France 3 était même venue me filmer le 31 mars, lors de la journée d’action contre la loi travail, afin de préparer un reportage pour l’émission. »
Qui a raison ? Selon les informations du Monde, il était encore prévu, mardi 5 avril, d’interroger Mme Hourmant sur le sujet du travail. M. Field admet que les noms des invités ont été transmis à l’Elysée, mais invoque « des raisons de sécurité » : l’identité de « tout le public » aurait d’ailleurs été communiquée.
Le directeur de l’information dément avoir donné à l’Elysée le « conducteur » de l’émission et les questions. Mais il reconnaît avoir transmis les « grands équilibres » et le « squelette ». « Cette émission n’a pas été montée sous la dictée de l’Elysée, loin de là, se défend encore M. Field. Il y a eu des discussions âpres, où chacun a défendu son point de vue. »
Le type d’informations échangées avec l’Elysée semble en tout cas inhabituel. « D’habitude, on ne transmet que les profils des intervenants, pas les noms, et on donne les grandes lignes de l’émission, pas le détail », raconte une journaliste. Certains dans la rédaction interprètent ce changement comme le signe d’une « désinvolture », voire d’une orientation politique de M. Field, ainsi que de la direction de France Télévisions, jugés « favorables » à M. Hollande.
L’affaire éclate alors que les méthodes de la direction de l’information sont vivement contestées. « Manipulations, mensonges et désormais insultes : M. Field a dépassé les bornes ! », s’est ainsi étranglé Manuel Tissier, président de la Société des journalistes (SDJ) de France 2, joint par Le Monde dimanche. Le passage de M. Field à l’émission « Le Supplément » de Canal+ a hérissé ses équipes, et interroge sur la réussite d’une greffe tentée en décembre 2015, quand M. Field a été nommé par Delphine Ernotte à la tête de l’information.
L’ancien journaliste se voit reprocher d’avoir critiqué publiquement, lors de cette émission, les présentatrices d’« Envoyé spécial », Guilaine Chenu et Françoise Joly, à qui il vient de retirer l’animation de l’émission : elles auraient mis en avant « un sujet sur les pièces détachées d’électroménager » un soir où le directeur de l’information aurait aimé entendre parler de Donald Trump. Cette façon de résumer seize années de travail a été jugée blessante.
Motion de défiance évoquée
Interrogé sur l’avenir de l’émission « Complément d’enquête », M. Field a assuré que la question de sa présentation n’était pas tranchée et a lancé à l’intention de Nicolas Poincaré, son animateur actuel : « Nicolas, si tu nous écoutes, ne te suicide pas tout de suite ! » Cette plaisanterie a choqué parmi les représentants des salariés, où l’on a souvent tendance à comparer France Télévisions à France Télécom, touchée par une vague de suicides, notamment entre 2007 et 2009.
Evoquant ensuite l’opposition d’une partie des équipes au projet de fusion des rédactions, qui a suscité une grève – peu suivie – le 7 avril, M. Field a repris une expression chiraquienne – « Ça m’en touche une sans faire bouger l’autre » –, semblant mépriser ce mouvement.
Enfin, il a annoncé le lancement d’un rendez-vous politique hebdomadaire, le jeudi à 20 h 15, présenté par un journaliste extérieur, Karim Rissouli, « évidemment associé au service politique de la chaîne ». Un « casus belli » pour la rédaction : « Externaliser une émission politique, ce n’est pas du tout l’usage, explique un journaliste. La rédaction doit être responsable de ce qui se dit à l’antenne pendant la campagne présidentielle. »
Le fait que ce projet d’émission soit évoqué dans les médias avant de l’être en interne est un autre motif de mécontentement, selon un journaliste : « Il y a un gros problème de confiance dans la parole. Des infos sortent d’abord dans la presse, puis sont démenties, puis se révèlent vraies. » Une référence à l’imbroglio autour d’« Envoyé spécial » ou aux flottements concernant le nom de la future chaîne d’information publique.
« Field montre un grand mépris et une désinvolture envers les équipes », pointe un journaliste. Dans ces critiques, le nom de Sonia Djallali, collaboratrice du directeur de l’information, est également cité. Excédés, les journalistes ont prévu une assemblée générale pour jeudi 14 avril. L’idée d’une motion de défiance est évoquée : « La coupe est pleine, décrit M. Tissier. M. Field nous traite comme des ennemis. Travailler avec lui devient difficile. »
Outre la méthode, la rédaction déplore qu’il veuille tout changer alors que le bilan de l’information était jugé bon, à l’image du « 20 heures » de France 2 qui talonne celui de TF1, du succès de « Des paroles et des actes » ou des bonnes performances du site Francetvinfo.fr. « Field écrabouille un patrimoine, pense un journaliste. Nos émissions peuvent être renouvelées, mais de là à tout balayer pour remplacer dans la précipitation… Il risque de casser l’outil que France Télévisions a mis des années à construire. »
Pour répondre aux critiques, M. Field a adressé lundi à ses équipes un courriel que Le Monde s’est procuré : « Mon passage au “Supplément” de Canal+ a suscité de nombreuses réactions. Je les entends. Juste rappeler qu’il s’agit d’une émission d’humeur, d’humour… J’ai sans doute dû me laisser entraîner par ce climat qui m’a fait commettre des maladresses que je reconnais bien volontiers et que je regrette pour celles et ceux qui en sont affectés. »