Manuel Valls en visite officielle à Nouméa, vendredi 29 avril. | THEO ROUBY / AFP

Pour la première journée de son déplacement en Nouvelle-Calédonie, Manuel Valls a été confronté, vendredi 29 avril, aux deux problèmes les plus sensibles dans l’archipel : l’avenir politique et institutionnel calédonien – alors qu’un référendum sur l’indépendance du « Caillou » doit être organisé avant novembre 2018 – et la crise économique du nickel, véritable poumon financier et social local.

Devant le Congrès de Nouvelle-Calédonie, qui réunit l’ensemble des forces politiques insulaires, le premier ministre s’est bien gardé néanmoins, vendredi matin, de prendre position au nom de l’Etat français concernant l’avenir institutionnel de cette collectivité d’outre-mer qui bénéficie déjà d’un statut juridique particulier depuis les accords de Nouméa signés en 1998.

Mais la situation politique calédonienne menace grandement l’issue du référendum et jusqu’à son organisation proprement dite. Les forces indépendantistes kanaks et les loyalistes sont divisés, y compris au sein de chaque camp. Au regard des résultats des derniers scrutins provinciaux, les non indépendantistes sont majoritaires dans l’archipel, et beaucoup craignent qu’un éventuel rejet de l’indépendance en 2018 ne coupe de nouveau l’île en deux et relance les tensions entre communautés.

« La méthode Rocard »

Dans ce contexte, le premier ministre a rappelé que « le temps est compté, novembre 2018 c’est déjà demain ». Si M. Valls assure que « l’Etat assumera pleinement son rôle » dans la perspective du référendum, il a surtout invité tous les protagonistes calédoniens à préparer déjà l’après, quel que soit le résultat de la consultation populaire. « Tout le monde le sait, tout le monde le dit, tout le monde interpelle l’Etat. Mais tout le monde est-il prêt à assumer la part de risque qui lui revient ? A dépasser les bornes de ses intérêts à court terme ? A déployer la pédagogie nécessaire pour tuer toute tentation de pédagogie ? », s’est-il interrogé.

Se prévalant de « la méthode Rocard », son mentor politique et l’artisan comme premier ministre, des accords de Matignon en 1988, M. Valls, accompagné de son conseiller Yves Colmou, ancien collaborateur de Michel Rocard à l’époque, a prôné « le compromis du rééquilibrage » et « la recherche du consensus » entre indépendantistes et non indépendantistes. « Ceux qui ont eu le courage de la main tendue furent toujours reconnus au bout du compte par les électeurs », a-t-il expliqué, faisant référence à l’ancien député non indépendantiste Jacques Lafleur et à l’ancien leader kanak Jean-Marie Tjibaou, les deux pères des accords de 1988, sur les tombes desquels il devait se recueillir durant sa visite.

Vingt-cinq ans après les « événements » et les violences communautaires entre caldoches et kanaks, le premier ministre refuse que le débat sur l’avenir institutionnel calédonien ne réveille les anciennes haines. Surtout, il souhaite que les élections présidentielle et législatives de 2017 ne viennent pas polluer le climat politique sur le Caillou. « Ne jouons pas la montre ! On ne sait pas ce qu’il se passera en 2017, mais il ne faut pas imaginer que tel ou tel changement, s’il y a changement, pourrait venir au secours de telle ou telle thèse », a-t-il prévenu. Plusieurs élus membres du parti Les Républicains parient en effet sur une victoire de la droite en 2017 pour empêcher la tenue du référendum et favoriser le statu quo.

« Il faut dépolitiser le dossier calédonien »

L’affaire vire au casse-tête pour le gouvernement, qui souhaite réunir à Paris un nouveau comité des signataires des accords de Nouméa « avant la fin de l’année ». En privé, M. Valls reconnaît que l’hypothèse d’un nouvel accord pour redonner du temps à chaque partie, est impossible. « Les indépendantistes ne sont pas d’accord et exigent le respect des accords de 1998 », explique-t-il. « Il faut dépolitiser le dossier calédonien et faire en sorte que personne ne se sente humilié et que tout le monde trouve sa place à l’issue du référendum qui aura lieu quoi qu’il arrive », décrypte son entourage à Matignon.

Quelques heures plus tard, le premier ministre s’est également exprimé sur la situation particulièrement inquiétante que connaît la Nouvelle-Calédonie au travers de la crise économique qui frappe son industrie du nickel, principale pourvoyeuse d’emplois locaux. C’était l’autre étape clé du déplacement du chef du gouvernement, particulièrement attendu par les dirigeants du secteur, mais aussi par les syndicats et les employés. En raison d’un cours très bas depuis plusieurs mois, l’industrie calédonienne du nickel est confrontée à de graves difficultés. « Oui, la situation est grave, oui, le secteur du nickel est plus que jamais fragile », a reconnu M. Valls.

Il a exhorté chacun à « faire des efforts » afin d’éviter des plans sociaux. Visitant l’usine centenaire de la Société Le Nickel (SLN), dans le quartier de Doniambo, véritable ville d’acier dans la ville de Nouméa, il a pointé les devoirs de ses actionnaires. « Ils ont reçu des dividendes lorsque les cours du nickel étaient au plus haut, ils doivent prendre leurs responsabilités en assurant la trésorerie de l’entreprise maintenant qu’ils sont au plus bas », a-t-il expliqué.

Alors que la société Eramet, maison-mère de la SLN, dont l’Etat français est actionnaire, a déjà débloqué 150 millions d’euros, M. Valls a demandé à l’autre actionnaire, la STCPI, entité qui rassemble les trois provinces territoriales calédoniennes, de mettre aussi la main au portefeuille pour « couvrir les besoins de financement jusqu’en 2018 et passer la crise ». Le premier ministre a proposé à la STCPI une aide de l’Etat, sous forme d’un prêt, « qui pourrait aller jusqu’à 200 millions d’euros », et il s’est engagé à ce que Paris « puisse apporter une garantie sur le financement bancaire » d’une nouvelle centrale à Doniambo, l’actuelle devant être « impérativement remplacée à l’horizon 2020 ».

Pour le premier ministre, avenir politique et avenir économique de la Nouvelle-Calédonie sont intimement liés. Mais, dans les deux cas, le temps presse. « L’avenir institutionnel et l’avenir du nickel se jouent dans les prochains mois », a alerté M. Valls.