Arabie Saoudite : le pari réformateur de Mohamed Ben Salman
Arabie Saoudite : le pari réformateur de Mohamed Ben Salman
Par Benjamin Barthe (Beyrouth, correspondant)
En réponse à l’effondrement des cours du pétrole, l’homme fort du royaume lance un plan destiné à sortir le pays de sa dépendance à l’or noir.
Sur Twitter, beaucoup de Saoudiens ont critiqué la perspective d’une vente d’Aramco, joyau du patrimoine national et protesté contre la hausse de leur facture d’eau, multipliée par 10 voire plus, du fait de la levée des subventions. | MARWAN NAAMANI / AFP
Après Mohamed Ben Salman le chef de guerre, place à Mohamed Ben Salman le réformateur et visionnaire. Le fils du roi Salman, vice-prince héritier et ministre de la défense saoudien, déjà architecte de l’intervention militaire des monarchies du Golfe au Yémen, doit présenter, lundi 15 avril, son deuxième méga chantier : le Plan de transformation national, un programme de refonte du système économique et social saoudien.
En germe depuis la nomination, en janvier 2015 de ce jeune ambitieux de 31 ans, surnommé MBS, à la tête de la commission interministérielle en charge du développement, ce plan ambitionne de sortir le pays, premier exportateur de pétrole, de sa dépendance toxique à l’or noir. Une rente qui finance 90 % des revenus de l’Etat, alimente un système providence extrêmement généreux, mais entretient un secteur public pléthorique et sclérosé et décourage l’esprit d’entreprise.
Mais surtout, dans le contexte de la chute des prix du brut, qui a perdu 60 % depuis l’été 2014, et compte tenu de la surconsommation énergétique locale, cette manne pourrait ne plus suffire à faire fonctionner le pays. Dans un entretien fleuve avec l’agence Bloomberg, publié jeudi 21 avril, le prince Mohamed et son conseiller financier ont révélé la consternation mêlée de panique qui s’est emparée d’eux lorsqu’ils se sont penchés sur les comptes publics au printemps 2015.
Création d’un fonds d’investissement
A cette époque, pour éponger ses pertes, conséquence de la dégringolade des cours, le gouvernement puisait chaque mois 30 milliards de dollars dans ses réserves, alors estimées à 700 milliards. Ce qui conduisait l’Arabie Saoudite à faire « complètement faillite » au bout de deux ans, assène les deux hommes.
Dans la seconde partie de l’année 2015, des mesures d’ajustement drastique ont donc été imposées : rapatriement d’avoirs investis à l’étranger, suspension de chantiers d’infrastructures, gel des embauches et des promotions, coupes dans les subventions sur l’eau, l’électricité et l’essence, ce qui a permis de ramener l’effritement des réserves à 10 milliards par mois.
La monarchie saoudienne se prépare aussi à emprunter la même somme auprès de banques étrangères, une première en vingt-cinq ans, pour limiter le déficit budgétaire, qui devrait avoisiner encore 15 % du PIB cette année.
Mais aucune remontée en flèche du baril n’étant prévue à court ou moyen terme, l’omniprésent MBS a décidé de frapper un grand coup. La mesure phare de son plan de réformes, déjà esquissé dans la presse, devrait consister à introduire en bourse 5 % du capital d’Aramco, le bras pétrolier du royaume, qui est la machine à cash la plus rentable au monde.
Les revenus tirés de cette opération et la réorganisation d’Aramco devraient alimenter un fonds d’investissements, dont le montant pourrait atteindre, selon le prince Mohamed, 2 000 milliards de dollars. Une somme astronomique, supérieure à la capitalisation cumulée de Google, Apple et Microsoft, destinée à être investie dans des avoirs industriels non-pétroliers puis reversé dans les caisses du royaume. « C’est ainsi que dans vingt ans, nous serons (…) un Etat qui ne dépendra plus principalement du pétrole », promet le prince.
Mise en place d’une TVA
MBS pourrait annoncer la vente d’autres actifs saoudiens, comme des terrains à la Mecque, l’une des villes dont le foncier est le plus cher au monde, et la privatisation de certains secteurs de services, comme la santé, les télécommunications et l’éducation.
L’instauration d’un indice de performance dans les ministères et la création de taxes sont également attendues. Véritable super-premier ministre, Mohamed Ben Salman insiste en particulier sur la mise en place d’une TVA, prévue à l’horizon 2018 dans les pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG), le club des pétromonarchies de la péninsule arabique.
Auprès de la jeunesse urbanisée et diplômée, lasse des archaïsmes saoudiens, ce traitement de choc paraît alléchant. Cette génération, souvent passée par les campus occidentaux apprécie le style bûcheur et fonceur du nouvel homme fort du royaume, qui cite Steve Jobs, l’ex-grand manitou d’Apple, et se débarrasse dès qu’il le peut de son bisht, la cape brodée d’or, que les Saoudiens portent dans les grandes occasions.
L’enthousiasme est d’autant plus fort dans les milieux libéraux que le prince laisse entendre que son élan modernisateur pourrait s’étendre au domaine social. « Nous croyons que les femmes ont des droits dans l’Islam qu’elles ont encore à obtenir », a-t-il confié aux reporters de Bloomberg.
Certains observateurs lui attribuent la récente mise au pas de la police religieuse, le bras armé des ultra-conservateurs, dont les prérogatives en matière d’arrestation et de poursuite ont été annulées.
Pour attirer davantage d’investissements étrangers dans le pays, le jeune réformateur pourrait être tenté de corriger quelques-uns de ses aspects les plus caricaturaux, comme l’interdiction faite aux femmes de conduire. C’est du moins ce que veulent croire les libéraux et ce que redoutent les religieux, qui ont croisé le fer ces derniers jours sur Twitter, le seul forum de débats non censuré du pays.
Contrat social
Outre le danger de s’aliéner le soutien des conservateurs, ravis de son entrée en guerre au Yémen, MBS qui se pique de « Thatchérisme », doit jongler avec le risque d’être accusé de rompre le contrat social saoudien. Un pacte tacite, qui garantit aux habitants de jouir des dividendes du pétrole, en échange de leur allégeance à la famille royale.
Sur Twitter, beaucoup de Saoudiens ont critiqué la perspective d’une vente d’Aramco, joyau du patrimoine national et protesté contre la hausse de leur facture d’eau, multipliée par 10 voire plus, du fait de la levée des subventions. Au bout de quelques semaines, le prince a d’ailleurs annoncé une révision des nouveaux tarifs, en précisant qu’il veillerait à ce que les plus pauvres ne souffrent pas de ses réformes.
Autant dire que le moment de vérité approche pour MBS : s’il parvient à mettre cette révolution structurelle en marche, il s’imposera plus que jamais comme l’homme-orchestre du royaume. Et il augmentera ses chances de succéder directement à son père, alors qu’il n’est que deuxième dans l’ordre de succession, en dessous du dauphin en titre, le ministre de l’intérieur, Mohamed Ben Nayef, de 25 ans son aîné.
En revanche, si ses nobles intentions s’enlisent dans la bureaucratie ou suscitent des résistances sociales insurmontables, son aura et ses ambitions en pâtiront immanquablement.