Raphaël Halet (gauche) et Antoine Deltour, deux lanceurs d'alerte dont le procès s'ouvrait mardi 26 avril. | JOHN THYS / AFP

Au premier jour du procès des lanceurs d’alerte français de l’affaire LuxLeaks, mardi 26 avril, il a été beaucoup question des protections – défaillantes – des serveurs informatiques du cabinet d’audit PricewaterhouseCoopers (PwC). Anita Bouvy, chargée de mener l’enquête interne au sein de la filiale luxembourgeoise du cabinet après la publication de centaines d’accords fiscaux secrets par des médias en 2012 et 2014, a dû convenir qu’une « anomalie » qui avait permis à des centaines d’employés de PwC d’y accéder sans aucun contrôle, dont Antoine Deltour, ancien auditeur.

La veille de sa démission, en octobre 2010, ce brillant auditeur alors âgé de 24 ans a copié plus de quatre cents rescrits fiscaux conclus entre le fisc luxembourgeois et des grandes multinationales, qu’il a remis quelques mois plus tard à un journaliste de Cash Investigation, Edouard Perrin. En 2014, Raphaël Halet, un autre employé de PwC, chargé lui de scanner les déclarations fiscales des clients, a remis seize d’entre elles au même journaliste. Ce dernier est inculpé de complicité de vol pour ces faits et comparaissait aux côtés des deux anciens salariés de PwC.

Tout commence en 2012, quand PwC commence à être interrogé par des journalistes au sujet de ces documents censés être ultrasecrets. La diffusion de Cash Investigation, en mai, confirme au géant de l’audit qu’il a été victime d’une fuite interne, le cauchemar pour ce professionnel du secret. Anita Bouvy a raconté comment elle a identifié rapidement l’origine de cette fuite, grâce au pistage des connexions d’Antoine Deltour. Il était le « seul à avoir eu accès à ces données sans pouvoir le justifier de par sa fonction ». La veille de sa démission, en octobre 2010, il a notamment été pisté sur 2 669 documents, sur une très courte période. « Nous en sommes venus à la conclusion qu’il avait copié les documents ».

Lors du procès, le président, Marc Thill, interroge l’enquêtrice :

- Comment avait-il accès à des documents confidentiels, alors que ce n’était pas son travail ?

- Il y avait une particularité de Microsoft qui n’était pas connue des archivistes, que je ne connaissais pas moi-même, a répondu Mme Bouvy. Sous certaines conditions, quand on déplaçait les documents dans un répertoire avec accès restreint, le document conservait les accès du dossier source. Et restait donc accessible à tous ou presque. La défense de M. Deltour a eu beau jeu de calculer que chaque rescrit fiscal avait pu être ainsi consulté par près de 650 employés en moyenne pendant les deux ans où ce dernier a travaillé chez PwC.

Ses avocats, le ténor français William Bourdon et le luxembourgeois Phillippe Pening, se sont efforcés de démontrer que cette fuite n’avait pas été préméditée. « Oui, ils [les documents] étaient d’accès facile, mais il fallait avoir l’intention d’aller dans ce sous-répertoire là », a lâché Mme Bouvy devant leurs questions, assurant que la faille technique de PwC avait été comblée depuis. Elle a par ailleurs écarté un éventuel motif politique de la démission d’Antoine Deltour, assurant que celui-ci avait surtout montré de la « frustration » face au rythme de travail, lors de son entretien de départ.

Pas de débat sur la motivation morale des accusés

Le dossier de Raphaël Halet, le second lanceur d’alerte, qui a opéré indépendamment de M. Deltour, est à la fois plus sensible et plus complexe. Repéré en 2014 alors qu’il était encore employé par la firme, il a signé un accord à l’amiable avec PwC lors de son licenciement. En échange de sa coopération à l’enquête interne et de sa confidentialité, PwC s’est engagée à ne réclamer au procès qu’un euro de dommages et intérêts, alors qu’elle estime dans l’accord son préjudice réel à dix millions d’euros. Pour s’assurer de son respect, PwC est allé jusqu’à prévoir de réclamer des hypothèques sur les biens de M. Halet. Mme Bouvy a toutefois récusé toute « menace ». « On lui a dit que beaucoup d’équipes étaient mobilisées [pour le retrouver], que ça représentait des heures et des heures de travail », a-t-elle expliqué.

En tant que chef de la section « tax process support », M. Halet a été identifié avec les mêmes méthodes que son collègue, mais uniquement après la publication par le Consortium international des journalistes (ICIJ) des centaines d’accords, en novembre 2014. Lui n’aurait fait fuiter que seize déclarations fiscales d’entreprises clientes, via les brouillons d’une messagerie partagée avec Edouard Perrin, et dont l’adresse était centmilledollarsausoleil@gmail.com. C’est pour avoir organisé ce procédé d’échange que le journaliste est inculpé pour complicité.

A défaut d’expression publique de M. Halet, ses avocats ont adopté une ligne de défense nettement moins flamboyante que ceux d’Antoine Deltour. Ils ont cherché à faire dire à Mme Bouvy qu’il n’y avait pas eu de vol physique de documents, et que M. Halet avait complètement respecté l’accord convenu avec PwC.

Limitée uniquement à l’examen du rapport interne de PwC, l’audience très médiatisée de mardi a par ailleurs montré que le président du tribunal n’était pas friand de se lancer sur un débat sur la motivation morale des actes de MM. Deltour et Halet, qui ont pourtant déclenché un scandale européen.

Existe-t-il une procédure interne pour les lanceurs d’alerte ?, a-t-il demandé à Mme Bouvy. Oui, a répondu l’auditrice de PwC, détaillant notamment la possibilité de saisir un « ethic officer » en cas de détection d’actes illégaux.

L’avocat William Bourdon demande alors la parole : - Les tax rulings auraient-ils justifié une saisine de l’ethic officer ?

- Non, les tax rulings sont tout à fait légaux au Luxembourg et dans de nombreux autres pays, lui répond l’auditrice, du haut de ses quinze années d’expérience chez PwC Luxembourg.