Au Tchad, une campagne électorale sous haute tension
Au Tchad, une campagne électorale sous haute tension
Par Youenn Gourlay
Près de 6 millions de Tchadiens se rendront aux urnes dimanche 10 avril au terme d’une campagne marquée par les arrestations, les polémiques et les risques de fraudes.
Des Soudanais attendent le président tchadien Idriss Déby Itno à l'aéroport de Khartoum, le 8 mars 2016. | ASHRAF SHAZLY/AFP
Après vingt-six années de règne, le président tchadien Idriss Déby Itno – qui, selon la formule consacrée, espère l’emporter en « un coup K.-O. » – brigue un cinquième mandat consécutif, dimanche 10 avril. Si le chef de l’Etat n’a jamais paru aussi fort, un vent de contestation inédit souffle sur le Tchad. Retour sur une campagne agitée.
Le viol de Zouhoura
C’est un fait divers qui a mis le feu aux poudres. Le 8 février, deux mois avant les élections, cinq hommes enlèvent et violent Zouhoura, Tchadienne de 16 ans et fille de l’opposant politique Mahamat Brahim Ali, président du Mouvement démocratique africain (MDA). La vidéo du viol est postée sur les réseaux sociaux suite à la plainte portée par la jeune femme.
Le 15 février, d’importantes manifestations lycéennes sont organisées dans tout le pays pour dénoncer ces actes et deux adolescents sont tués par la police. Le lendemain, les agresseurs, fils du ministre des affaires étrangères et de généraux, sont arrêtés. Le viol vire à la crise politique. Malgré la réaction d’Idriss Déby, qui dénonce un « acte ignoble », les manifestations contre le pouvoir en place se poursuivent.
Les opérations « villes mortes » et « sifflets citoyens »
La contestation prend de l’ampleur. A l’appel de la coalition « Ça suffit », bon nombre de citoyens restent chez eux le 24 février, à l’occasion d’une journée « ville morte ». A N’Djamena, les écoles, les commerces et les marchés sont paralysés. L’administration tourne au ralenti et les rues sont quasiment désertes.
Le 10 mars, une dizaine d’associations de la société civile tchadienne appellent la population à se servir d’un « sifflet citoyen » à 5 h 30 et 21 h 30 pour demander la fin de la mauvaise gouvernance et l’alternance politique. Une opération toutefois moins suivie que la première.
Un nombre de candidats record
Dix jours plus tard, la campagne débute officiellement. Sur les vingt-sept candidatures proposées, quatorze sont finalement retenues, un record. Parmi elles, sans surprise, Idriss Déby Itno fait figure de grand favori. Face à lui, Saleh Kebzabo, qui se présente pour la troisième fois, deux anciens premiers ministres, Joseph Djimrangar Dadnadji et Delwa Kassiré Koumakoye.
En revanche, le conseil constitutionnel rejette la candidature de Ngarlejy Yorongar, le président du parti fédéraliste, « au motif de défaut de photo et défaut d’emblème », selon l’opposant.
Polémique autour du temps de parole
Premier jour de campagne et première polémique. A l’occasion de la cérémonie de signature de bonne conduite proposée par le Haut Conseil de la Communication (HCC), dix candidats se lèvent et quittent la salle. La raison : le faible temps d’antenne dans les médias publics prévu pour chaque candidat d’opposition lors des trois semaines de campagne. Seul le représentant du chef de l’Etat sortant a finalement signé ce code de bonne conduite.
Quatre leaders de la société civile arrêtés
Alors qu’ils s’apprêtent à organiser des manifestations contre la candidature du président Déby, Mahamat Nour Ahmat Ibedou, Nadjo Kaina Palmer, Younous Mahadjir et Céline Narmadji, quatre leaders de la société civile sont arrêtés, le 22 mars, puis écroués.
Une grève générale et une « marche citoyenne interdite » sont alors lancées et largement suivies à l’appel de l’Union des syndicats du Tchad (UST) et de la coalition « Trop c’est trop ! ». Accusés de « provocation à un attroupement non autorisé, tentative d’atteinte à l’ordre public et opposition à l’exercice d’une autorité légitime », les quatre opposants connaîtront leur peine le 14 avril. Le procureur a pour l’instant requis six mois de prison.
Conséquences : tous les membres de la société civile se sont retirés des principales institutions du pays, dont le Comité électoral national indépendant (CENI).
Fraudes électorales
Cette année, des cartes électorales biométriques devraient empêcher les électeurs de voter à plusieurs reprises. Mais l’opposition craint justement une fraude massive en amont de l’élection.
Selon plusieurs médias locaux, des ressortissants soudanais, originaires du Darfour, disposeraient de cartes électorales pour voter en faveur d’Idriss Déby. Ils auraient été acheminés par avion vers des localités tchadiennes en vue de renforcer le Mouvement patriotique du salut (MPS), le parti d’Idriss Déby. Une information invérifiable en l’état.
Le 3 avril, un homme soupçonné d’acheter des cartes d’électeurs dans le 7e arrondissement de N’Djamena a été arrêté par des militants de l’opposition. L’homme soupçonné de préparer la fraude a été conduit au commissariat, mais a été rapidement relâché par la police.
Dimanche, plus de 6 millions d’électeurs sont appelés à élire leur président. En cas de second tour, les partis d’opposition devraient fusionner pour affronter le favori.