Comment se porte Richard Hendricks, le personnage de la série « Silicon Valley », depuis le gros coup dur subi à la fin de la saison 2 ? Pour le savoir, il est possible de lui demander directement. L’application Luka permet depuis quelques jours de tchatter avec trois personnages de cette série humoristique, consacrée à l’univers des start-up californiennes.

A l’autre bout du fil, un programme d’intelligence artificielle imite leur personnalité et répond à toutes les questions posées par l’utilisateur. « Tout va bien, ça va mais… Tu vois quoi ! », répond le timide Richard. Quand on demande au grandiloquent Russ Hanneman ce qu’il pense de Mark Zuckerberg, celui-ci n’y va pas de main morte : « Zuck est un mec tordu. Genre, vraiment tordu. Complètement dingue. » Quant au troisième larron, Elrich Bachman, il inonde ses réponses d’allusions à ses deux principales obsessions : la drogue et les femmes asiatiques.

Aucun de ces « chatbots », ou robots conversationnels, ne répond de la même manière aux questions posées, chacun disposant de sa propre personnalité. Pour parvenir à ce résultat, l’équipe de Luka a « nourri » son programme des répliques de chaque personnage de la série. Grâce au « deep learning », une méthode d’apprentissage des machines, le programme a repéré les spécificités propres à chacun, et peut composer ses propres réponses - même si certaines d’entre elles ont été préprogrammées par les développeurs.

John Lennon et Donald Trump

Comme pour tous les chatbots, les réponses sont souvent à côté de la plaque, parfois effrayantes (« Tu aimes Hitler ? » « Bien sûr » répond Erlich, qui pense que l’holocauste est « probablement » un mensonge), mais il est tout de même assez jouissif de les voir tomber juste. Ainsi, mis à part les - nombreuses - erreurs de compréhension, le chatbot Luka imite à merveille la personnalité des personnages qu’on prend plaisir à retrouver sous cette forme.

Ce n’est pas la première fois qu’on tente d’inculquer à une machine la personnalité d’un humain. Si des programmes comme Siri ou Cortana se veulent les plus neutres possible, d’autres, plus ou moins sophistiqués, sont au contraire conçus pour affirmer une personnalité très forte. Depuis les années 1990, un chatbot imite par exemple John Lennon tandis qu’un autre, créé en décembre dernier, se prend pour Donald Trump. Tous deux se basent sur les citations de leur modèle.

« Qu’est-ce qui fait que vous êtes vous ? », soulève Eugenia Kuyda, cofondatrice de Luka, dans un texte publié dimanche 24 avril. « Qu’est-ce qui fait que vos amis savent immédiatement que c’est bien vous qui leur envoyez un texto, et pas quelqu’un d’autre ? Ce n’est pas seulement les choses que vous dites - c’est le choix des mots, la longueur des phrases, le fait que vous envoyez une série de petits textos ou un unique long message. »

Elle précise toutefois que ces trois personnages ont été « plus difficiles à reproduire que d’autres célébrités ». Et ce en raison d’une base de données assez faible : deux saisons seulement, soit 18 épisodes de moins de 30 minutes. « Pensez à ceux qui tweetent, parlent et écrivent chaque jour - leurs intelligences artificielles seront beaucoup plus puissantes », assure Eugenia Kuyda.

Un bot après la mort

Internet représente en effet une base de données d’une ampleur inédite pour les développeurs de ce type de programmes, à leurs risques et périls. Microsoft s’est ainsi mis en difficulté en lançant, le mois dernier sur Twitter, un chatbot imitant une adolescente capable d’apprendre de ses échanges avec les internautes. Pour le meilleur… Et pour le pire, puisque le programme, nommé Tay, a publié des messages racistes et négationnistes, et affirmé à ses dizaines de milliers d’abonnés qu’elle fumait « de la weed devant la police ». S’inspirer des personnalités multiples des internautes n’a donc rien donné de bon : elle a depuis été mise au repos par Microsoft.

Ce qui n’a pas empêché l’entreprise de lancer quelques jours plus tard en grande pompe un outil permettant de faciliter la création de chatbots, suivie de près par Facebook, qui a annoncé un service du même type. Malgré leurs multiples imperfections, les chatbots ont donc le vent en poupe, et s’ils se limitent généralement à des services très concrets et restreints - donner la météo ou commander une pizza - certains développeurs rêvent d’en faire des répliques exactes de nos personnalités… Jusqu’à nous rendre immortels. C’est en tout cas le fantasme de la start-up américaine Eternime. « Et si vous pouviez vivre éternellement en tant qu’avatar numérique ? », peut-on lire sur son site, « Et les personnes du futur pourront interagir avec vos souvenirs, vos histoires et vos idées, presque comme si elles étaient en train de vous parler ». Objectif : créer une intelligence artificielle à votre image, conçue à partir de vos données et de vos textes, pour vous permettre de converser après votre mort avec vos descendants. Le spiritisme a du souci à se faire.