Panama Papers : comprendre le système offshore en 3 minutes
Durée : 02:50

Quiconque souhaite échapper à l’impôt, blanchir de l’argent sale ou mener des investissements en toute discrétion trouvera dans les sociétés offshore des paradis fiscaux la méthode idéale pour dissimuler son identité réelle. Une réalité connue de longue date, sur laquelle le scandale des « Panama papers » vient jeter une lumière crue.

Les données internes de la firme panaméenne Mossack Fonseca, partagées par le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung avec Le Monde et 105 médias internationaux partenaires du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), offrent un panorama sans précédent des méthodes de dissimulation offertes aux clients fortunés. S’ils sont disposés à mettre le prix pour ériger des paravents entre leurs activités offshore implantées au bout du monde et leur respectabilité sociale.

Niveau zéro : avoir un compte en Suisse

II est révolu le bon vieux temps où il vous suffisait d’ouvrir un compte dans une banque genevoise pour être assuré d’un parfait anonymat. Depuis 2005, la directive européenne sur la fiscalité de l’épargne (European Union Savings Directive, EUSD) vous impose de déclarer l’argent qui dort sur votre compte suisse au fisc français ou, à défaut, de s’acquitter d’une retenue à la source de 35 % sur les revenus générés par le compte. C’est le « prix du péché » bien désagréable pour les clients soucieux, comme vous, de protéger leurs avoirs.

En outre, sous la pression des différents scandales venus des Etats-Unis (UBS, Crédit Suisse, etc.) et de l’OCDE, la Suisse a assoupli son secret bancaire en 2009, en facilitant la transmission d’informations à l’étranger. Si cette dernière reste ponctuelle, l’épargnant discret que vous êtes n’est pas à l’abri d’être compromis par un vol de fichiers bancaires, comme le fichier clients HSBC livré à Bercy par l’ex-informaticien Hervé Falciani.

Enfin, le paradis suisse perdra définitivement de son attrait en 2018, quand entrera en vigueur son accord d’échange automatique de données avec l’Union européenne. Dès lors, votre nom devrait être automatiquement transmis au fisc français – et adieu la confidentialité. Heureusement pour les amateurs de jardin secret comme vous, il existe de nombreuses solutions pour contourner cette dangereuse inquisition des autorités suisses.

Niveau 1 : se servir d’une société-écran

Les décodeurs

On pourrait penser que le plus simple serait de domicilier son compte bancaire dans un autre pays, en quittant l’Europe vieillissante pour des cieux fiscaux plus accueillants. Eh bien non ! Les banques sises dans les paradis fiscaux sont lointaines, peu sûres et offrent beaucoup moins de services que les accueillants établissements suisses ou luxembourgeois.

Gardez-y donc votre compte, mais dissimulez votre réelle identité ! La directive EUSD ne s’appliquant qu’aux personnes physiques, il vous suffit de passer par une société offshore domiciliée dans un paradis fiscal pour lui transférer la propriété de votre compte bancaire – et échapper ainsi au « prix du péché ».

Pour cela, pas besoin de faire un séjour aux îles Vierges britanniques ou au Panama : si votre banque ne vous le propose pas, vous pouvez aller voir l’un des nombreux cabinets spécialisés dans les solutions offshore qui pullulent à Genève, à Luxembourg et même à Paris. Ces derniers ouvriront une société offshore pour vous en passant par un agent de domiciliation de sociétés offshore comme Mossack Fonseca, qui s’occupera de toutes les formalités.

Pour une société aux îles Vierges, par exemple, il vous en coûtera 650 dollars pour la création de la structure, auxquels vous ajouterez chaque année 765 dollars de frais de gestion. Vous devrez également alimenter le capital de départ de la société, généralement à hauteur de 50 000 dollars.

Une fois créée, c’est cette société-écran qui deviendra titulaire de votre compte en Suisse à votre place. Vous serez ainsi exempté de la retenue de 35 % et préserverez votre discrétion.

Niveau 2 : recourir à des prête-noms

Mais le seul recours à une société-écran n’est pas toujours suffisant pour assurer une opacité optimale. Car, grâce à des registres en ligne de sociétés comme OpenCorporates, n’importe quel inquisiteur peut connaître l’identité du conseil d’administration d’une société. Le plus simple, si vous ne souhaitez donc pas apparaître dans ces registres, sera de recourir à des prête-noms.

Pour 450 dollars par an, Mossack Fonseca fournit les administrateurs de votre société basée à Hongkong. Ce sont eux qui, selon vos consignes ou celles de votre avocat fiscaliste, géreront toute la paperasse en signant les documents dont vous pourriez avoir besoin – ouverture d’un compte en banque, transferts de fonds, changements de statut, etc.

C’est toutefois insuffisant pour vous protéger complètement. Si vous avez enregistré votre société aux Seychelles, par exemple, les autorités seychelloises pourront en effet accéder à la liste des actionnaires de votre société avec une commission rogatoire et la transmettre à la justice ou au fisc français dans le cadre d’un échange d’informations. Sans compter que des journalistes peu respectueux de votre vie privée pourraient être tentés de lâcher votre nom en pâture en cas de fuites de données.

Le plus sûr est donc que vous n’apparaissiez pas nommément dans le registre des actionnaires. Jusque dans la fin des années 2000, rien de plus facile : il suffisait d’émettre des actions au porteur, qui ne permettent pas d’identifier leur propriétaire. Mais sous la pression de l’OCDE, les juridictions offshore ont progressivement accepté de mettre un terme à ces pratiques, en obligeant l’attribution d’actions nominatives.

N’ayez crainte ! Mossack Fonseca veille et propose un service adéquat. Pour 750 dollars par an, la firme panaméenne nomme pour vous de faux actionnaires locaux pour éviter que vous n’apparaissiez sur des documents qui pourraient être compromettants. Seuls ses employés et votre intermédiaire sauront que vous êtes le véritable ayant droit économique de votre société. Pratique, non ?

Niveau 3 : multiplier les sociétés offshore

Vous n’êtes toutefois pas assuré que, pour préserver sa bonne réputation ou pour éviter les soucis, Mossack Fonseca ne lâchera pas votre nom à l’administration. Pour brouiller les pistes et éviter que l’on remonte jusqu’à vous, plusieurs méthodes existent. La première option est de multiplier le nombre de sociétés pour gérer vos actifs, en ne mettant pas tous vos œufs dans le même panier. Vous placerez ainsi votre chalet dans une société et le produit de votre héritage dans une autre. Evidemment, le coût accru par le nombre croissant de sociétés est le prix à payer pour votre tranquillité.

Encore mieux, vous pouvez même décider que l’unique actionnaire d’une de vos sociétés soit une autre société, qui soit elle-même détenue par une troisième – chacune étant installée dans un paradis fiscal différent, avec ses réglementations propres. Cette solution vous sert à anticiper les prochains durcissements de la législation dans vos paradis fiscaux préférés, en vous permettant de rester à la page concernant les Etats aux réglementations les plus opaques.

En outre, elle complique le travail du fisc pour remonter le fil et trouver qui est la personne physique qui se cache derrière votre montage financier. La tâche s’en trouvera plus ardue si vous optez pour des prête-noms actionnaires et administrateurs sur chacune de vos sociétés. Avec un peu de chance, l’enquête prendra des années et vous aurez eu le temps de filer à l’anglaise dans une juridiction plus sûre.

Ces montages sont fréquents dans le monde de l’offshore. A tel point que certains cabinets fiscalistes proposent à tous leurs clients l’utilisation d’une ou deux sociétés offshore qui gèrent l’actionnariat de centaines de sociétés – dont celles que vous avez créées. De multiples bénéficiaires économiques se cachent donc derrière le paravent d’une seule entité juridique prête-nom : de nombreuses nuits blanches en perspective pour l’administration fiscale.

Niveau 4 : utiliser une fondation

Le nec plus ultra de la dissimulation reste toutefois le recours à une fondation privée de droit panaméen, qui n’a pas besoin d’actionnaires. Mossack Fonseca peut nommer pour vous des prête-noms au conseil d’administration et vous désigner comme bénéficiaire réel de la fondation dans un document confidentiel que la firme n’a pas l’obligation de révéler à l’administration, contrairement à ce qui se pratique pour les simples sociétés. Même s’il le voulait (!), Mossack Fonseca n’aurait pas le droit de révéler votre identité, sous peine de six mois d’emprisonnement et 50 000 dollars d’amende.

Vous pourrez donc gérer votre compte en banque ou acheter une maison par l’intermédiaire de votre fondation, avec l’esprit d’autant plus tranquille que l’imposition de ces actifs se résumera à un forfait annuel de 300 dollars prélevé par le fisc panaméen. Pour vous offrir une solution en béton comme celle-ci, il vous faudra débourser 1 350 dollars à la création de la fondation, puis entre 800 et 1 300 dollars de frais annuels.

Restez toutefois sur vos gardes, car les réglementations évoluent vite, et les paradis fiscaux les plus protecteurs pour votre anonymat et votre argent ne le resteront peut-être pas toujours. Mais ne vous inquiétez pas : le petit monde de la finance offshore saura probablement faire preuve de créativité pour vous trouver de nouvelles solutions. Comme il l’a toujours fait par le passé.

Précisions

Les tarifs mentionnés sont ceux de la société panaméenne Mossack Fonseca récupérés dans sa documentation interne par Le Monde et ses partenaires du réseau ICIJ. Ils ne couvrent pas les frais, qui varient fortement, réclamés par les intermédiaires financiers faisant le lien entre Mossack Fonseca et le client final.

Un contenu de cette page n'est pas adapté au format mobile

#PanamaPapers Le lexique de l'offshore