De si chers PDG
De si chers PDG
LE MONDE ECONOMIE
Pertes et profits - Il est étrange de voir les actionnaires se dresser contre l’inflation des salaires des patrons. Car le système dans lequel s’inscrivent les fortes rémunérations est conçu à leur avantage.
Combien vaut un patron ? 450 000 euros par an, plafond fixé par le gouvernement français dans les entreprises publiques, ou 7,2 millions, comme dans le cas du PDG de Renault, Carlos Ghosn, ou encore 17 millions pour le PDG de BP ? Le sujet est vieux comme le capitalisme. Le banquier John Pierpont Morgan, à la fin du XIXe siècle, estimait raisonnable un écart de 1 à 20 des salaires à l’intérieur d’une entreprise. Un peu plus tard, Henry Ford rehaussait la barre à 40. Il n’est plus inhabituel, désormais, de trouver dans de grandes sociétés anglo-saxonnes des patrons gagnant mille fois plus que leurs employés de base.
Après la révolte contre l’évasion fiscale, voici que revient la colère contre les rémunérations excessives. Portée durant des décennies par les politiques, les ONG et les syndicats, cette lutte est maintenant reprise par les actionnaires. Le plus gros d’entre eux, le fonds pétrolier norvégien, premier fonds souverain de la planète, a décidé d’agir contre les rémunérations excessives des dirigeants. Un tournant. Jusqu’à présent, son approche éthique se limitait au choix de ses investissements. Il avait ainsi décidé, en 2015, de sortir totalement du secteur du charbon.
Sa rébellion s’inscrit dans un large mouvement des actionnaires contre l’inflation des feuilles de paye. Une majorité d’entre eux s’est prononcée à la mi-avril contre la rémunération du patron de BP et, vendredi 29 avril, un autre vote majoritaire s’est opposé à celle du PDG de Renault. Dans les deux cas, il s’agissait d’une première, et leur avis n’a pas été suivi par les conseils d’administration.
Il est étrange de voir les actionnaires se dresser contre un système conçu à leur avantage. Les salaires des dirigeants se sont envolés à partir des années 1980 en vertu d’une nouvelle théorie de l’entreprise, inventée dix ans plus tôt par quelques économistes américains, celle de la valeur actionnariale, la « shareholder value ».
La révolte gronde
Pour eux, l’objectif premier d’une entreprise, et donc de son patron, est de créer de la valeur pour l’actionnaire. Et pour être sûr que le chef accomplira sa mission, sa rémunération a été étroitement liée à cet objectif. Résultat, dans les salaires mirobolants des présidents de Renault, BP ou Ford, l’essentiel est composé d’attribution d’actions. Leurs intérêts sont donc alignés sur ceux des actionnaires, à défaut de l’être toujours sur ceux des salariés. L’envolée de la Bourse depuis trente ans a fait le reste. Le fonds norvégien le sait bien, lui dont le patrimoine a été multiplié par sept en onze ans seulement.
Mais les exceptions sont devenues les règles et même les modestes performances donnent lieu à des multiplications incompréhensibles des bonus aux dirigeants. Evasion fiscale, tromperie des clients, inégalités salariales, la révolte gronde contre les excès du capitalisme moderne. Et la politique, dans la foulée des consommateurs et des petits actionnaires, pourrait bien se venger à son tour.