Mehdy Metella, Fabien Gilot et Florent Manaudou (arrière-plan) lors du 4 × 100 m nage libre, le 7 août, à Rio de Janeiro. | JB Autissier / Panoramic

Fabien Gilot assis sur le plot de départ. Florent Manaudou enfoncé dans la chaise en plastique blanc juste derrière. A côté de lui, Mehdy Metella, debout, mains sur les hanches, regard dans le vague. Encore dans l’eau, Jérémy Stravius se hisse péniblement sur le rebord du bassin pour reprendre son souffle. Des tapes dans la main sans conviction, aucune accolade. Voilà cinq ans qu’on n’avait plus vu de telles images : l’équipe de France du 4 x 100 mètres a perdu une course. Dommage, c’était la finale des Jeux olympiques.

Les quatre nageurs espéraient écrire, dans la nuit du dimanche 7 au lundi 8 août, une nouvelle ligne dorée de la glorieuse épopée du relais tricolore. Au bout de 3 min 10 s 53, ils doivent se contenter d’une médaille d’argent. La ligne dorée, c’était celle à côté de la leur, la ligne d’eau n° 5, et ce sont les Américains qui nageaient dedans (3 min 09 s 92), emmenés par la légende vivante de la natation, Michael Phelps, tout sourire sur le podium, avec autour du cou une 19e médaille d’or glanée lors de JO qu’il dispute pour la cinquième fois.

Une marche plus bas, tout le monde fait semblant de sourire au moment de recevoir ce qui constitue tout de même la première médaille de la délégation tricolore à Rio, épilogue d’un week-end particulièrement riche en mauvaises nouvelles. « C’est bien, mais ça a forcément un goût amer, vous vous en doutez », souffle le doyen Fabien Gilot, « capitaine » du relais bleu. Seul Jérémy Stravius semble sincèrement content, contrairement à ses partenaires. « Non, ils ont des sourires cachés, je les connais, assure-t-il. On peut être fiers. C’est une belle médaille d’argent. »

Mehdy Metella, Fabien Gilot et Florent Manaudou et Jérémy Stravius sur le podium du du 4 × 100 m nage libre, le 7 août, à Rio de Janeiro. | Michael Sohn / AP

L’argent olympique sur le 4 x 100 ? Il y a encore dix ans, les dirigeants de la natation française en auraient sauté de joie tout habillés dans la piscine. Plus aujourd’hui. Car les relayeurs français ont habitué tout le monde au luxe entre-temps : des Jeux 2012 à Londres aux Mondiaux de 2015 à Kazan en passant par ceux de 2013 (Barcelone) ou les championnats d’Europe de 2012 (Debrecen), 2014 (Berlin) ou 2016 (encore Londres), ils n’avaient plus vu d’autre métal que l’or à l’issue de cette course si particulière, climax de la semaine olympique de natation qui ne fait que commencer. L’ultime défaite remontait aux Mondiaux 2011 à Shanghaï, où les tricolores avaient été devancés par l’Australie, médaillée de bronze à Rio.

« A pas grand-chose »

« On n’a pas à rougir », tente de relativiser Fabien Gilot, qui nageait vraisemblablement, à 32 ans, son dernier relais en équipe de France :

« Notre série d’invincibilité s’arrête alors qu’on va plus vite que l’an dernier, quand on était devenus champions du monde. Avant 2012, on a souvent perdu à pas grand-chose, ça faisait quatre ans qu’on gagnait à pas grand-chose, et cette année, on re-perd à pas grand-chose. »

Haletante de bout en bout, disputée dans une atmosphère électrique comme seul le 4 x 100 en occasionne, la finale de Rio n’a toutefois pas atteint les sommets d’intensité dramatique de celles de Pékin en 2008, lorsque les Américains, distancés, avaient coiffé les Français sur le fil, ou de Londres en 2012, quand les Bleus s’étaient offert une revanche magistrale selon le scénario exactement inverse.

Pas de montagnes russes aquatiques cette fois : bien lancé par Mehdy Metella, en tête après son 100 mètres, le relais français a ensuite toujours nagé derrière. Fabien Gilot, qui a si souvent rattrapé le coup depuis ses débuts dans le relais en 2003, s’est laissé déborder cette fois-ci par son gigantesque voisin de couloir, Michael Phelps, bien plus rapide (47 s 12 contre 48 s 20).

« Sur le coup, Fab [Gilot] nous dit désolé, mais il n’y a pas de coupable dans l’histoire », excuse Jérémy Stravius. Le dernier relayeur du quatuor, qui avait décidé de sacrifier une demi-finale de 200 mètres au profit du relais, a fait ce qu’il a pu face au supersonique Nathan Adrian (47 s 11 contre 46 s 97, meilleur temps du soir), champion olympique en titre du 100 mètres, qu’il espère retrouver mercredi, en finale de l’aller-retour. « Ça valait vraiment le coup, promet-il. Ce qu’on a vécu avant le relais et pendant le relais, c’est phénoménal. »

Ce qu’ils ont vécu après a dû être pénible, puisque Florent Manaudou, visage fermé, ne s’est même pas arrêté devant la presse. « Je vais d’abord récupérer, je reviens après », a marmonné le colosse de Marseille – auteur d’un temps canon sur son 100 m (47 s 14) –, avant de filer vers un nouvel horizon : la défense de son titre olympique acquis à la surprise générale il y a quatre ans, celui du 50 m, dont il sera le grand favori, vendredi.

« Ça a été tellement dur »

Lui aussi médaillé d’or en individuel en 2012, Yannick Agnel a en revanche d’ores et déjà perdu sa couronne dans la piscine de Rio, laquelle sera sans doute la dernière à voir nager le Nîmois lors d’un grand rendez-vous international : complètement hors du coup et éliminé dès les séries du 200 m qui l’avait consacré à Londres, Agnel a laissé entendre dans la foulée qu’il cesserait de promener sa carcasse de 2,02 m autour des bassins une fois les Jeux terminés.

« Si je suis dans une compétition, ce n’est pas pour faire le touriste, a expliqué Agnel, visiblement marqué par son échec. Comme je savais que ça allait probablement être ma dernière course en individuel à l’international, j’avais à cœur de bien faire les choses. » « Probablement » ? « Ouais, ouais, plus ou moins. Il y a encore une course ou deux à nager [référence à une compétition à Chartres, fin août, où sa présence est obligatoire], et on verra par la suite. »

L’ancien prodige de la natation française a-t-il parlé trop vite, sous le coup de la déception ? Une chose est certaine, on ne le verra pas à Tokyo en 2020 : « Vu les quatre dernières années, si je m’en retape quatre comme ça, je vais me retrouver entre quatre planches. Ça a été tellement dur… »

De la rupture fracassante avec son club (Nice) et son entraîneur (Fabrice Pellerin) historiques, début 2013, à son arrivée à Mulhouse, fin 2014, en passant par l’exil pas vraiment doré à Baltimore chez Bob Bowman, le coach de Michael Phelps, Yannick Agnel a perdu la nage hors norme qui avait encore fait de lui le champion du monde du 200 mètres à l’été 2013. A l’heure de faire un premier bilan, le nageur de 24 ans a dit n’avoir « aucun regret sur [ses] choix de carrière ». Il lui reste le relais 4 x 200 mètres, mardi, pour en avoir encore moins.

JO : 120 ans qui ont fait l'Histoire
Durée : 03:23