La nuit commence à tomber dans le quartier de la gare de Lyon ce vendredi 8 avril. Ils ne sont encore que trois devant l’espace de coworking La Cordée, mais bientôt une vingtaine d’aspirants auteurs vont investir l’endroit pour une « nuit créative ». Le « camp NaNoWriMo » – pour « National Novel Writing Month » – a commencé la semaine précédente, pour le premier rendez-vous du mois des « nanoteurs » français. Traditionnellement, le NaNoWriMo désigne un marathon d’écriture international annuel ayant lieu en novembre. Les « nanoteurs » ont un mois pour écrire un petit roman de 50 000 mots minimum. Ce n’est pas un concours, il n’y a aucun prix à l’arrivée, si ce n’est le plaisir d’avoir relevé le défi. En avril et en juillet ont aussi lieu les « camps NaNoWriMo », avec un nombre de mots choisi par le participant et une ambiance plus détendue.

En France, le NaNoWriMo réunit plusieurs milliers de participants chaque année, et la communauté est très active : le 31 octobre 2015, une soirée de lancement a été organisée au Centre Pompidou. Dans la même logique de rencontre ont été instaurées il y a trois ans les « nuits créatives », des nuits blanches d’écriture qui ont lieu pendant les sessions officielles et le reste de l’année. « Les gens ont besoin d’un grand rendez-vous de ce genre », estime Laure-Isabelle Villetard, l’organisatrice française. En mars, elle a étendu les Nuits à d’autres domaines artistiques que l’écriture, avec « ID2Mars » où « plus de vingt-cinq disciplines étaient représentées ». Les activités de la communauté française dépassent donc le simple cadre du NaNoWriMo, mais, ce vendredi 8 avril, c’est bien pour le Camp d’écriture que tous se retrouvent à La Cordée.

Une nuit d’émulation

Des participants au "Nanowrimo", à Paris. | Mathilde Loire / Le Monde.fr

Les « nanoteurs » s’installent dans l’espace de coworking : les ordinateurs et la documentation dans la salle de travail, la nourriture et les boissons dans la salle de détente. Bonbons, chips, sodas et tomates cerises sont installés sur la grande table autour de laquelle tout le monde s’assoit dans un joyeux brouhaha. Pendant la nuit, les « nanoteurs » vont alterner périodes d’écriture et de pause : « On commence par se retrouver, faire le tour des prénoms et des projets, explique Laure-Isabelle Villetard. Puis, pendant trente minutes, tout le monde écrit, et on fait une pause. Dans la nuit, vers 2 ou 3 heures, on sort des jeux de société comme le Dixit ou le Concept pour se changer les idées tout en restant dans un univers créatif. »

Pour certains, c’est la première fois, d’autres se connaissent déjà bien. Clémence « attendait d’avoir un vrai boulot pour écrire un roman » mais en a eu assez d’attendre. Léona, lui, a carrément pris une année sabbatique après ses études pour écrire, et vante « l’émulation » des nuits d’écriture. Emy participait à un MOOC d’écriture mais avait besoin « d’un challenge pour se motiver ». Coline écrivait déjà de la fan fiction avant de se lancer dans le NaNoWriMo. Elle a amené son meilleur ami, Aaron, qui « l’entendait parler du NaNo tous les jours ».

Le groupe est jeune. Les blagues et les références à la culture pop fusent. Deux jeunes femmes discutent de leurs synopsis, un trio débat sur le « ship » – couple fictionnel – Jamie-Brienne, deux personnages du Trône de fer, d’autres parlent de leur travail. Leur profil est assez homogène : « Il y a beaucoup d’étudiants, de professeurs, de bibliothécaires… mais les profils se diversifient, se réjouit l’organisatrice. Au début, on avait 99 % de filles, on est à 75 % aujourd’hui. Le point commun, c’est que toutes et tous sont des lecteurs. »

Dialogue et mise en commun des idées

A 21 h 30, Laure-Isabelle Villetard envoie tout le monde dans la salle de travail. Il est temps d’écrire, pendant trente minutes d’affilée. On allume les ordinateurs, on ouvre les cahiers. Documents, livres, premiers jets à relire et tasses de café ou de thé sont étalés sur les tables de travail. Après quelques rires étouffés, le silence n’est rompu que par le bruit des touches et des pages que l’on tourne. L’un range sa quinzaine de dossiers, une autre se lime les ongles, plusieurs écoutent de la musique. Quand la demi-heure est écoulée, certains restent écrire, d’autres font le point.

« Quand on écrit, il arrive souvent d’être bloqué, affirme Sarah. Alors on en parle ensemble, on met en contexte. Le simple fait d’en discuter permet souvent de dépasser le blocage. » Le dialogue avec d’autres auteurs et la mise en commun des idées est au cœur du NaNoWriMo. « La première année où j’y ai participé, je n’étais pas vraiment motivée, se souvient Charlotte, en thèse de littérature anglaise contemporaine. Maintenant, il y a des nanoteurs parmi mes plus proches amis, et ça procure une telle énergie ! Il n’y a plus beaucoup de choses comme le NaNoWriMo – où il n’y a vraiment rien à gagner. Chacun y trouve ce qu’il apporte. »

« La quantité plutôt que la qualité »

Le NaNoWriMo est né en 1999, dans la région de San Francisco, dans la tête de Chris Baty. Aujourd’hui auteur et professeur, il souhaitait à l’époque écrire un roman. Il se fixe 50 000 mots, environ la taille d’un court roman comme Gatsby le Magnifique ou Le Meilleur des mondes, et réunit un groupe d’amis prêts à participer. Il explique avec humour sur le site du NaNoWrimo quel était l’état d’esprit au début :

« Cette première année nous étions vingt et un et (…) nous voulions écrire des romans pour la même raison idiote qui pousse des vingtenaires à former un groupe. Parce que nous voulions faire du bruit. Parce que nous n’avions rien de mieux à faire. Et parce que nous pensions que, en tant que romanciers, nous obtiendrions plus facilement des rencards qu’en tant que non-romanciers. »

« Si mes amis et moi pouvions écrire des romans passables en un mois, je savais que tout le monde pouvait le faire », conclut-il. La deuxième année, raconte toujours Chris Baty, il y avait 140 participants. Le mois national d’écriture d’un roman devient alors celui de novembre, « pour profiter du mauvais temps ».

Les camps, à la forme plus libre, ont été lancés en 2011 par l’association américaine, qui organise depuis 2006 le NaNoWriMo. « Plusieurs participants nous avaient fait remarquer qu’ils étaient occupés au mois de novembre, explique Tim Kim, le directeur de la communication de l’association. Beaucoup de gens sont en cours, et aux Etats-Unis il y a la période de Thanksgiving. Nous avons d’abord lancé un camp l’été, et en 2013 nous avons aussi instauré le camp d’avril, pour avoir des événements NaNoWriMo tout au long de l’année. » En effet, janvier et février sont désormais dédiés à la relecture et la correction des productions précédentes.

Depuis ses débuts, le NaNoWriMo n’a cessé de rassembler des participants, et la communauté s’est étendue dans le monde entier. Sur le site, on peut même se retrouver entre habitants d’une même région du monde, d’un même pays ou d’une même ville.

« Le NaNoWriMo est un enfant d’Internet »

Il y a ainsi 19 000 inscrits en Egypte, 11 000 en Inde, et plus de 50 000 en Angleterre. Les plus petites communautés locales rassemblent quelques dizaines de personnes. Des référents (« municipal liaison » ou « ML ») gèrent l’organisation des groupes locaux. Et le NaNoWriMo gagne des participants chaque année : « Quand j’ai commencé le Nano, nous étions environ 200 Français, se souvient Laure-Isabelle Villetard. Aujourd’hui nous sommes presque 10 000. »

« Il n’y a pas eu de groupe solide en Inde avant 2011, raconte Sonia Rao, l’organisatrice indienne. Les participants avaient cependant tendance à se tourner vers les réseaux sociaux après le mois de novembre. Nous avons donc créé une page Facebook, un blog, un compte Twitter, et c’est ce qui a vraiment lancé la communauté. » Son homologue française confirme l’importance des réseaux sociaux dans le développement du NaNoWriMo :

« Au début, il n’y avait pas autant d’événements, beaucoup de gens écrivaient pour eux. Désormais, tout le monde partage de plus en plus parce qu’on a les outils qui le permettent. Le NaNoWriMo est vraiment un enfant d’Internet. »

Blogs et médias anglo-saxons publient en effet régulièrement des articles de conseils. Sur les réseaux, les « nanoteurs », ou « wrimos » en anglais, s’encouragent dans le marathon, discutent de leurs idées, partagent des articles sur l’écriture, échangent des anecdotes. Ainsi sur Twitter, le hashtag #CampNaNoWriMo est très utilisé depuis le mois de mars.

A Sao Paulo, Angelo Dias, le référent des NaNoNinjas, la communauté brésilienne, travaille ainsi à faire connaître le marathon dans tout le pays. « Le NaNoWriMo a été le meilleur moyen de me prouver que je peux écrire si j’essaye, ou qu’apprendre une nouvelle compétence ne dépend que de moi. » Le plus dur reste de faire comprendre l’intérêt de ce défi où l’on ne gagne rien. « Pour mon père, 50 000 mots ne valent rien, mais, pour mes amis, ça veut tout dire. Mais plus qu’un écrivons jusqu’à en avoir mal aux doigts, le NaNo est synonyme de rassemblons-nous et aidons-nous les uns les autres. »

Anthologie de textes

Chaque communauté, chaque pays, a ses propres rituels, ses projets particuliers pour s’encourager dans l’écriture. « Hors des mois de NaNo, j’organise souvent des ateliers en ligne sur la rédaction d’un roman, la correction, l’édition, ou bien des interviews avec des auteurs publiés, des éditeurs ou des critiques de livres, raconte Sonia Rao. Pendant le mois de novembre, nous organisons des marathons sur une journée, de 6 heures du matin à minuit, chacun accueille à tour de rôle. » En 2015, elle a publié une anthologie de textes, autour du thème de la vengeance ; une deuxième est en préparation, sur un thème qui sera à nouveau choisi par tout le monde.

Il n’y a pas encore d’anthologie prévue chez les Nanoteurs français, mais un site est en cours de refonte, où pourront être publiés les écrits de celles et ceux qui le souhaitent. Et le 30 avril aura lieu une « restitution » des œuvres produites en mars et en avril pendant une nouvelle rencontre. En attendant, il ne reste plus que quelques jours aux « nanoteurs », « wrimos » et « NaNoNinjas » pour atteindre le but qu’ils se sont fixé.