EDF : l’Etat diffère son arbitrage financier
EDF : l’Etat diffère son arbitrage financier
Par Denis Cosnard
L’Elysée demande à Bercy de nouvelles expertises des besoins de l’entreprise avant de se prononcer sur son refinancement. Un comité central d’entreprise est prévu jeudi 28 avril.
Le siège social d'EDF, à La Défense. | GONZALO FUENTES / REUTERS
L’Etat a du mal à régler le très délicat dossier EDF. La réunion interministérielle, mercredi 20 avril, à l’Elysée, sous la présidence de François Hollande, n’a pas permis de rendre les arbitrages attendus. Avant d’arrêter ses décisions sur l’avenir de la compagnie électrique publique, dont la situation financière est tendue, le président de la République a souhaité bénéficier d’éclairages complémentaires. « L’équation n’est pas encore résolue, on se donne un peu plus de temps que prévu », dit un proche du dossier à l’Elysée.
De nouvelles expertises des besoins d’EDF ont en particulier été demandées à Bercy. Au-delà des sujets de fond, sur la stratégie du groupe et ses projets d’investissement, la question immédiate posée à l’Etat actionnaire est celle d’une éventuelle augmentation de capital. EDF ne paraît certes pas « au bord de la faillite », comme l’affirment les syndicats.
Mais si l’entreprise lance effectivement la construction de deux réacteurs pressurisés européens (EPR) en Grande-Bretagne, pour quelque 24 milliards d’euros, sans renforcer ses fonds propres, elle risque de voir sa note abaissée d’un ou deux crans par les agences de notation. Et d’être très chahutée en Bourse. Une perspective difficile alors que l’action EDF a déjà perdu la moitié de sa valeur en un an, et a été exclue du CAC 40 en décembre.
Le patron d’EDF souhaite que l’Etat renfloue l’entreprise
Pour éviter une nouvelle descente aux enfers, le PDG, Jean-Bernard Lévy, a demandé aux pouvoirs publics de faire un geste. Ils ont déjà accepté que le dividende d’EDF soit versé en actions à l’Etat, ce qui a, dès cette année, permis de ne pas décaisser 1,8 milliard d’euros. Mais le patron d’EDF souhaite aussi que l’Etat renfloue l’entreprise, dans le cadre d’une augmentation de capital de plusieurs milliards d’euros.
C’est sur ce point clé que porte le débat actuel. « M. Lévy demande de l’argent, Bercy estime qu’il n’en a pas besoin dans l’immédiat », résume une personne au fait des discussions. Avant de fixer l’ampleur et la date d’une éventuelle recapitalisation, l’Elysée, à la recherche d’un compromis, aimerait disposer d’éléments techniques supplémentaires.
Lors du conseil d’administration d’EDF prévu vendredi 22 avril après-midi, la direction risque donc de ne pas pouvoir présenter une « trajectoire financière » aussi claire qu’elle l’espérait. A ce stade, le conseil est cependant maintenu. Il devrait pouvoir examiner au moins d’autres aspects du plan de financement d’EDF, en particulier de nouvelles mesures d’économies et un programme de cessions. Des dispositions jugées indispensables dans tous les cas de figure, compte tenu de la chute des prix de l’électricité en Europe, qui ampute les recettes et les profits d’EDF.
Quant au sujet le plus sensible, celui des EPR britanniques, les critiques de plus en plus vives sur la pertinence de cet énorme investissement n’ont visiblement pas ébranlé la conviction de François Hollande : « Il n’est pas question de remettre en cause ce projet, ne serait-ce que par respect de la parole donnée aux Britanniques », assure-t-on dans l’entourage du chef de l’Etat. Au début de mars, lors du sommet d’Amiens, le président avait réaffirmé à David Cameron que le projet d’EPR à Hinkley Point bénéficiait du « plein soutien du gouvernement français ».
Les énormes risques financiers et techniques du projet
Depuis, de plus en plus de voix se sont élevées pour souligner les énormes risques financiers et techniques de ce projet. Le directeur financier d’EDF a préféré démissionner pour ne pas valider une telle opération.
Au sein même du gouvernement, le sujet ne fait pas consensus. Le ministre de l’économie, Emmanuel Macron, pousse EDF à lancer sans plus tarder cet investissement, qu’il juge « très important pour la France » et pour la filière nucléaire. Mais la ministre de l’environnement, de l’énergie et de la mer, Ségolène Royal, y pose, elle, une condition : que les milliards d’euros consacrés à Hinkley Point ne réduisent pas l’enveloppe consacrée par le groupe aux énergies renouvelables. « Ce qui paraît impossible… », commente un administrateur du groupe.
Le secrétaire d’Etat à la réforme de l’Etat et à la simplification, Jean-Vincent Placé, a été plus loin encore : le projet de construction de deux réacteurs nucléaires au Royaume-Uni constitue une « impasse stratégique, a déclaré l’élu écologiste jeudi 21 avril sur Europe 1. EDF a une vision stratégique absolument à revoir ».
Les syndicats à EDF, pour leur part, sont vent debout contre le projet britannique. Force ouvrière, la CGT et la CFE-CGC ont d’ailleurs décidé de boycotter le séminaire durant lequel la direction comptait leur présenter le dossier Hinkley Point, vendredi matin. Un comité central d’entreprise prévu jeudi 28 avril pour débattre de la situation financière d’EDF avec son PDG donnera aux élus du personnel une nouvelle occasion de faire entendre leur point de vue.