En Serbie, une élection en forme de plébiscite pour le premier ministre Vucic
En Serbie, une élection en forme de plébiscite pour le premier ministre Vucic
Par Benoît Vitkine (Belgrade, envoyé spécial)
Les Serbies votent, dimanche, à l’occasion d’élections générales anticipées au suspense limité. Le premier ministre, Aleksandar Vucic veut obtenir une majorité claire.
Deux ans après le scrutin de 2014, la Serbie vote à nouveau, dimanche 24 avril, à l’occasion d’élections générales anticipées au suspense limité. Quelque 6,8 millions de personnes sont appelées aux urnes pour un scrutin à la fois législatif et local.
- Quel est l’enjeu du vote ?
Il se résume à une seule question : Aleksandar Vucic dépassera-t-il la barre des 50 % des suffrages ? Le premier ministre sortant veut, en tout cas, faire mieux que son score de 2014 (48,35 %). Une large victoire lui permettrait de gouverner seul, ou de se choisir un partenaire de coalition autre que son actuel allié, le Parti socialiste.
En annonçant ces élections anticipées, le premier ministre avait expliqué vouloir obtenir une majorité claire pour mener, d’ici à 2020, les réformes nécessaires à une adhésion à l’Union européenne.
Vendredi 22 avril, à Belgrade, le ministre de l’intérieur, Nebojsa Stefanovic, précisait au Monde : « Nous voulons avoir rempli en 2020 notre part des obligations en vue d’une accession à l’Union européenne. Ensuite, nous ne nous faisons pas d’illusions, les discussions du côté des Européens prendront encore du temps. »
Aux yeux de ses critiques, le premier ministre cherche avant tout à acquérir encore plus de pouvoir, alors même que sa domination sur la scène politique serbe est sans équivalent. M. Vucic chercherait aussi, selon ses détracteurs, à se mettre à l’abri avant d’adopter de nouvelles mesures, a-t-il lui-même prévenu, « douloureuses ».
- Qui est Aleksandar Vucic ?
Le premier ministre serbe a beau être jeune – 46 ans –, il a derrière lui une carrière longue et parfois embarrassante. Il fut longtemps membre du Parti radical (SRS), la formation de l’ultranationaliste Vojislav Seselj. En 1995, après le massacre de Srebrenica, il promettait : « Pour un Serbe tué, nous tuerons cent Musulmans. »
Cet avocat de formation, au visage poupin, a aussi fait carrière sous Slobodan Milosevic, le leader socialiste et ultranationaliste. Entre 1998 et 2000, il était son ministre de l’information, et à ce titre responsable de la répression qui a frappé les médias étrangers, mais surtout locaux, au moment des bombardements de l’OTAN sur Belgrade, en 1999.
Mais M. Vucic a brutalement opéré sa mue en 2008, quittant les Radicaux pour fonder le Parti progressiste (SNS), une formation conservatrice et proeuropéenne. Il a reconnu à plusieurs reprises ses « erreurs » passées et se dit même « fier » d’avoir changé. Sur ces dossiers, il a donné des gages importants, se rendant à deux reprises à Srebrenica ou signant en août 2015 un accord de coopération avec le Kosovo — ancienne province serbe que Belgrade ne reconnaît pas.
Le succès a été spectaculaire. Dès 2012, il arrive en tête des élections législatives, mais se contente du poste de vice-premier ministre, pendant que son allié, Tomislav Nikolic, également SNS, prend la présidence. En 2014, il devient premier ministre.
Depuis, il n’a cessé d’accroître son emprise sur le pays, flirtant avec ce que ses opposants voient comme une forme d’autoritarisme doux : les journalistes dénoncent régulièrement des pressions, et l’Union européenne estime que la justice serbe n’est pas indépendante du pouvoir politique.
- Quels sont les thèmes de la campagne ?
La campagne à proprement parler a été extrêmement limitée. D’abord parce que les grands médias, notamment la télévision, donnent une place démesurée à Aleksandar Vucic. Ensuite, l’intérêt du public serbe s’est émoussé. L’abstention, en hausse élection après élection, devrait encore être massive.
Aleksandar Vucic a mis l’accent sur l’économie. Le premier ministre n’a jamais caché que son renoncement à ses positions ultranationalistes et son choix de l’Europe étaient avant tout guidés par le pragmatisme économique. C’est le discours qu’il tient aux Serbes depuis plusieurs années : sans l’Union européenne, pas de développement économique.
Pour l’heure, les résultats sont limités, le chômage toujours aussi important (18 % officiellement), et la Serbie a dû prendre, après la signature d’un accord avec le Fonds monétaire international (FMI), des mesures d’austérité douloureuses — hausses d’impôt, baisse des retraites.
Le pari du premier ministre est que sa politique permettra d’attirer des investisseurs étrangers. Il assure même que ceux-ci commencent déjà à arriver en masse, mais l’économiste Danica Popovic, de l’université de Belgrade, rappelle que les investissements étrangers étaient deux fois plus importants sous le gouvernement précédent.
L’autre thème central de la campagne est la question de l’orientation stratégique du pays, candidat à l’Union européenne, mais traditionnellement russophile. Les différents sondages laissent apparaître une opinion publique très divisée sur le sujet, et à mesure que les négociations avec l’UE s’éternisent, le soutien de la population au processus d’adhésion s’émousse.
Les partis ouvertement prorusses et antieuropéens pourraient rassembler, dimanche, plus de 15 % des suffrages. Quant à Aleksandar Vucic, pour ne pas froisser une part importante de son électorat, il prend systématiquement soin, quand il parle de l’Europe, de rappeler l’amitié « indéfectible » qui lie son pays à la Russie.
Et l’opposition ?
Les Démocrates, qui ont gouverné le pays depuis la chute de Slobodan Milosevic, en 2000, jusqu’à 2012, sont affaiblis. Divisés entre plusieurs listes concurrentes, ils souffrent également du discrédit laissé par les désillusions de l’ère Tadic, président de 2004 à 2012, qui n’a pas réformé le pays en profondeur.
Les socialistes d’Ivica Dacic devraient, eux, conserver leur statut de deuxième force du pays.
La vraie sensation vient de l’extrême droite. Acquitté de crimes contre l’humanité à la fin de mars par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, le tribun ultranationaliste Vojislav Seselj vise la troisième place, et mène une campagne centrée sur la thématique prorusse.