Enfin l’emploi ?
Enfin l’emploi ?
Par Anne Rodier
Après sept années de grisaille, les perspectives apparaissent meilleures en 2016, notamment pour les jeunes diplômés. Mais la crise a pesé sur les pratiques et le travail demeure marqué par la précarité et des conditions dégradées.
La porte de l’emploi s’ouvrirait-elle enfin en grand pour les jeunes diplômés ? Oui, mais… La promo 2016 sera-t-elle celle qui tournera la page des dégâts causés par la crise financière de 2008 ? Pas sûr. Les embauches des cadres repartent à la hausse. Ce sont les professionnels qui l’ont constaté dès la fin 2015. « La tendance du marché est clairement à la hausse », affirme Wilhelm Laligant, président de Syntec conseil en recrutement, le syndicat des spécialistes du secteur. La part du conseil dans l’activité des cabinets de recrutement a été multipliée par dix en cinq ans et la durée moyenne de leurs missions est passée de 8,4 semaines en 2012 à 11,7 semaines en 2015. « Cette durée augmente aussi car les entreprises demandent de plus en plus de conseils, en particulier de la médiation sur les salaires », ajoute-t-il.
C’est une embellie après plusieurs années de grisaille. Les recrutements avec des salaires proposés entre 50 000 et 80 000 euros par an sont un peu plus nombreux en 2015 qu’en 2014 (40 % contre 38 %). Ce n’est pas encore l’euphorie, mais seules 37 % des offres proposent des rémunérations au-dessous de cette fourchette, contre 45 % en 2012.
La confiance amorce son retour du côté des employeurs, dont les prévisions de croissance d’activité sont stables. Plus du tiers d’entre eux se disent « optimistes ». « Les entreprises, après avoir reporté des recrutements, envisagent de passer à l’acte. Ce qui représente un signal fort, non seulement pour notre marché mais plus largement pour le marché de l’emploi en France », estime Antoine Morgaut, vice-président de Syntec conseil en recrutement.
Les cadres de chantier moins demandés
Les déclarations d’embauche faites auprès de l’Urssaf en janvier confirment la tendance haussière : « En janvier 2016, le nombre des déclarations d’embauche de plus d’un mois [hors intérim] augmente de 4,9 % après une baisse de 1,1 % le mois précédent. Sur trois mois, les déclarations d’embauche progressent de 6,3 %, portant à + 5,9 % l’évolution sur un an », indique le baromètre économique de l’Acoss publié en février.
Quoi qu’il en soit, au début de l’année, le volume d’offres d’emploi concernant les cadres sur Internet a explosé. En janvier, « toutes les fonctions sont touchées par cette augmentation, en particulier les services techniques (9 % sur un an) et l’informatique (13 %), mais aussi les études, la recherche et développement (18 %) et la fonction commercial-marketing (11 %) », précise l’Association pour l’emploi des cadres (APEC) dans son bulletin de la mi-février.
Le mois suivant, la hausse s’est poursuivie plus doucement, sauf pour les cadres de chantier, qui étaient nettement moins demandés. Tout comme les métiers de la communication, de l’information et des arts et spectacle, qui sont à contre-courant de la tendance générale. Les enquêtes du ministère du travail y remarquent un net déséquilibre entre l’offre et la demande (Dares, « Les tensions sur le marché du travail au 4e trimestre 2015 »).
Stage non rémunéré
C’est le quotidien de Karine Diallo et Emilie Sches, 26 ans, respectivement bac + 3 et bac + 4 diplômées en communication, en quête d’un CDI. « Mon dernier CDD terminé en juin n’a pas été transformé en CDI car les recrutements externes étaient gelés », témoigne Karine. Quant à Emilie, depuis sa sortie de CDD le 31 décembre, elle s’est vu proposer à trois reprises d’effectuer un stage non rémunéré pour améliorer son expérience professionnelle. Ayant fait des stages chaque année depuis la fin du secondaire, elle trouve cela « désolant ». D’autant que si elles ont eu un emploi, elles ne l’ont plus. Ne pas avoir de CDI, seize mois après la sortie du master, ce n’est pas extraordinaire, « mais c’est pesant, car c’est très long, comme un long corridor obscur », dit Emilie.
Ce secteur mis à part, les intentions d’embauche pour les cadres sont au beau fixe et, nouveauté 2016, elles profitent aux jeunes diplômés : « Selon notre enquête annuelle menée auprès d’un panel de 11 000 entreprises, 182 000 à 200 000 cadres seraient recrutés en 2016, soit une hausse pouvant atteindre 10 % par rapport à 2015. En 2016, 39 500 à 43 400 débutants pourraient être embauchés, une hausse qui pourrait aller jusqu’à 14 % », indique Jean-Marie Marx, le directeur général de l’APEC.
Il en conclut que « la reprise amorcée en 2015 devrait se confirmer en 2016 », portée par le redémarrage progressif de la croissance économique, le retour de l’investissement productif et un nombre plus important de départs à la retraite. Pour janvier, Pôle emploi a, en effet, annoncé une baisse du nombre de demandeurs d’emploi. Et les cadres seraient les premiers servis.
L’accès au premier emploi reste difficile
Tout n’est pourtant pas encore rose au pays de l’emploi des jeunes, même chez les diplômés, qui servent toujours de variable d’ajustement sur les postes permanents où se succèdent des contrats précaires. Le flux de témoignages de mois de « galère » en sortant de l’école ne tarit pas. Diana Braille, 25 ans, qui a rejoint le marché du travail en 2014, une fois son diplôme de Sciences Po en poche, a ainsi enchaîné plusieurs CDD et autant de satisfecit de ses chefs de service, avant d’être remplacée par un autre CDD. Raison officielle : elle n’avait pas les cinq ans d’expérience minimum requis. « J’aurais pu comprendre l’argument, sauf que la personne qui m’a remplacée m’a contactée avant d’accepter le poste pour prendre des informations sur le service. Elle avait moins de deux ans d’expérience », témoigne-t-elle. De son emploi, il lui reste surtout l’amertume.
L’année 2016 changera peut-être la donne, mais pour l’instant l’accès au premier emploi reste difficile. D’autant que si les chiffres du recrutement s’améliorent, la fragmentation du marché du travail se poursuit : travail à la tâche, contrats précaires, etc. Des plates-formes de « digital working » proposent même des missions sans contrat de travail.
Les abus sont nombreux. L’association Génération précaire reçoit deux à trois cas, chaque semaine, de jeunes diplômés en stages ou services civiques susceptibles d’être requalifiés en emplois salariés. « Ce sont plutôt des diplômés d’université qui, faute de débouchés, se tournent vers le service civique. Mais il y a une autre nouvelle tendance qui monte, c’est le travail en multi-activité. Les jeunes se mettent en free-lance pour essayer de se faire un réseau. Ce sont autant de nouvelles situations de précarité », explique Vincent Laurent, du collectif Génération précaire.
L’auto-entreprise, passage obligé
C’est ainsi que l’auto-entreprise s’impose aux jeunes diplômés au moment de leur entrée sur le marché du travail, comme ce fut le cas du CDD dans les années 1980. Les jeunes se font auto-entrepreneurs pour faire une expérience ou pour « rester actif » ou parce qu’il y a une promesse d’embauche à la clé. En 2011, quatre auto-entrepreneurs sur dix avaient moins de 34 ans.
Le bouillonnement d’activité est réel. Les start-up ouvrent leurs portes en grand aux jeunes tout juste sortis des écoles de « codeurs sur mesure », comme Simplon.co, 3W Academy ou Webforce3. Elles s’arrachent les développeurs d’origine diverse – des Beaux-Arts à la psychologie – et les data scientists sortis, eux, plutôt des écoles d’ingénieur. Le numérique favorise ainsi des reconversions professionnelles heureuses, en particulier dans la cybersécurité, où les emplois stables et bien rémunérés sont au rendez-vous.
Les jeunes diplômés seront donc bien plus nombreux à être recrutés en 2016 qu’en 2015, mais la qualité de certains emplois laisse encore à désirer. La crise a marqué durablement le marché du travail, même pour les cadres.
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