La semaine « noire » de l’antidopage
La semaine « noire » de l’antidopage
Par Yann Bouchez
L’Agence mondiale antidopage et la Fédération internationale d’athlétisme viennent d’essuyer deux camouflets cinglants, soulignant un amateurisme inquiétant.
Commençons par une observation, en forme d’aveu. Critiquer les acteurs de la lutte antidopage n’apparaît pas comme l’exercice le plus aisé chez les journalistes couvrant l’actualité sportive et ses côtés les plus sombres. La principale raison ? Un simple mécanisme d’identification. Quiconque s’est déjà heurté à l’omerta – ou à la mauvaise foi, au déni – concernant l’utilisation de produits prohibés dans le sport se retrouve plus enclin à la compassion qu’aux griefs envers ceux qui traquent les « dopés » et les « dopeurs ». Pour faire dans l’euphémisme, la mission de ces patrouilleurs se révèle compliquée. Ingrate, elle s’apparente souvent à un sacerdoce. En outre, la cause semble juste, sauf à prôner la légalisation du dopage.
Alors que les méthodes de triche se perfectionnent, que les avocats de sportifs sont de plus en plus rodés aux procédures, les moyens sonnants et trébuchants de l’antidopage restent dérisoires. Il y a quelques semaines, Sir Craig Reedie, le patron de l’Agence mondiale antidopage (AMA), expliquait que les gains annuels de la joueuse de tennis russe Maria Sharapova, contrôlée positive au meldonium en début d’année, étaient supérieurs au budget de l’institution qu’il dirige : 26 millions d’euros en 2015. Un exemple plutôt parlant. Le Britannique demandait en conséquence aux sponsors et aux diffuseurs de compétitions sportives de mettre la main à la poche pour aider à lutter contre les exploits galvaudés.
Aveu tardif
Mais tout n’est pas qu’une question d’arithmétique. Et il est apparu, au terme d’une semaine « noire » en deux actes, que l’un des ennemis les plus redoutables de l’antidopage est… l’antidopage lui-même. Ainsi qu’une certaine forme d’amateurisme, qui n’a rien à voir avec les questions d’argent et apparaît très préjudiciable dans un domaine où la forme compte autant que le fond. Le premier acte est intervenu lundi 11 avril, lorsque l’AMA a piteusement reconnu, à propos du meldonium qui figure sur la liste des produits interdits depuis le 1er janvier 2016, qu’il y avait « actuellement un manque d’éléments scientifiques clairs sur le délai d’excrétion ». Traduction : l’Agence est incapable de savoir combien de temps ce médicament, souvent utilisé dans la prévention des infarctus, reste dans l’organisme. Chez les athlètes testés positifs en 2016, la substance pourrait donc avoir été prise en 2015, alors que le meldonium était encore autorisé. Voilà un aveu assez tardif et pour le moins gênant.
Conséquence de ce communiqué, l’AMA pourrait donc lever la suspension de certains positifs au meldonium. Et il ne s’agit pas là d’une poignée de sportifs. Depuis le début de l’année, plus de cent athlètes, dont beaucoup de Russes, ont été pris dans les mailles du filet, la plus connue étant Maria Sharapova. La joueuse de tennis avait elle-même annoncé son contrôle positif, se livrant au passage à un désagréable exercice de mea culpa, face aux caméras, le 7 mars, dans un hôtel de Los Angeles. Elle a depuis perdu des sponsors, et vu son image sérieusement écornée.
Maria Sharapova accusée de dopage : « J'ai fait une erreur » | Le Monde.fr / Reuters
Le deuxième acte s’est produit jeudi 14 avril, avec une décision du Tribunal arbitral du sport en forme de désaveu pour l’IAAF, la Fédération internationale d’athlétisme. Le TAS a annulé la suspension de la coureuse russe Tatyana Andrianova. La médaillée de bronze du 800 m des Mondiaux d’Helsinki, en 2005, avait été contrôlé positive en 2015, après un « retesting » de son échantillon de 2005. Suspendue, l’athlète avait fait appel. Elle a obtenu gain de cause, le TAS estimant que l’échantillon n’était plus exploitable depuis 2013.
En août 2015, l’IAAF s’était fendu d’un communiqué pour annoncer que 28 athlètes avaient été contrôlés positifs à la suite de « retestings » de leurs échantillons lors des Mondiaux 2005 et 2007. La Fédération internationale d’athlétisme disait s’appuyer sur le nouveau code mondial antidopage, qui portait de 8 à 10 ans le délai de prescription pour tester les échantillons conservés. Le timing, en ce mois d’août 2015, n’était pas anodin, alors que le Sunday Times et la chaîne allemande ARD venaient de révéler des données inquiétantes concernant des centaines d’athlètes dans le monde, entre 2001 et 2012, dont un grand nombre n’ont jamais été sanctionnés pour dopage.
Communication désastreuse
Dans les deux cas, pour l’AMA comme pour l’IAAF, le camouflet a été d’autant plus cinglant qu’il s’est accompagné d’une communication désastreuse. Les dirigeants de l’AMA ont d’abord contesté tout problème concernant le meldonium. Au début de l’année 2016, le message des pontes de l’Agence s’articulait autour de deux arguments, qui peuvent être ainsi résumés : premièrement, l’AMA inscrit sur la liste des substances prohibées les produits qu’elle veut. Et deuxièmement, non, les athlètes pris la main dans le pot de meldonium ne peuvent pas se cacher derrière le délai d’élimination de la substance par l’organisme.
Interrogé par Le Monde le 16 mars, Olivier Niggli, appelé à être le numéro 2 de l’Agence à partir de juillet, déclarait ainsi, sur l’épineux sujet du meldonium : « Je n’ai pas la réponse exacte à votre question sur le : “combien de temps ?” Mais la problématique est là même que pour les substances qui sont interdites en compétition seulement, et qui ont été prises hors compétition. Ce n’est pas une nouvelle problématique. Or dans ces cas-là, il y a une jurisprudence fournie : ce qu’il a dans son corps au moment du contrôle relève de la responsabilité de l’athlète. Après, certaines explications peuvent être prises en compte lors de la gestion du résultat, mais le fait de l’avoir pris avant la date d’entrée en vigueur (de l’interdiction) et de tester positif après, en tant que tel, ce n’est pas une excuse absolue. » Circulez, il n’y a pas matière à polémique. Quelques semaines plus tard, ses propos ont donc été contredits, par sa propre institution.
Nouveaux maux de tête à venir
Pis, l’AMA se prépare à de nouveaux maux de tête avec son communiqué du 11 avril. En évoquant de possibles levées de suspensions pour « les cas où la concentration est inférieure à 1 µg/ml, avec un contrôle effectué avant le 1er mars 2016 » qui « sont compatibles avec une ingestion datant d’avant janvier 2016 », l’Agence se tire une balle dans le pied. Car elle ne fournit aucune explication sur le choix de cette date butoir et ce seuil limite, qui apparaissent arbitraires. Et donc sujets à de nouvelles contestations.
Le cas de l’IAAF n’est pas plus reluisant. Après avoir annoncé en fanfare ses « retestings », en août 2015, alors que les polémiques sur le sérieux de l’antidopage dans l’athlétisme battaient leur plein, la Fédération internationale est depuis restée muette sur le sujet. En début d’année, Thomas Capdevielle, le patron de l’antidopage de l’IAAF, reconnaissait à demi-mot le camouflet, dans une réponse au Monde : « Nous avons pensé bénéficier des dix ans, nous avions consulté juridiquement, expliquait-il. Il y a deux opinions juridiques différentes, c’est en train d’être discuté. » La Fédération, elle, se retranchait derrière la décision à venir du TAS concernant Tatyana Andrianova. Avec la conclusion que l’on connaît désormais.
Depuis jeudi et le désaveu du TAS, la réaction officielle de l’IAAF a consisté à se dire « déçue par cette décision ». Un peu court. La Fédération internationale n’a toujours pas communiqué sur le nombre d’athlètes concernés par les « retestings » positifs de 2005. L’IAAF et l’AMA n’ont toujours pas répondu à cette question : comment de si grossières erreurs ont-elles pu être commises ? En attendant des explications bienvenues, l’exercice de contrition ne semble pas avoir débuté. S’il fallait en trouver un, voilà un point commun entre les « dopés » et ceux qui les traquent : ils semblent rarement pressés de passer à l’heure du mea culpa.