L’action en justice des syndicats est-elle illimitée ?
L’action en justice des syndicats est-elle illimitée ?
Par Cabinet d'avocats Flichy Grangé (Avocat)
Question de droit social. Une organisation syndicale peut saisir les juges pour faire valoir les droits d’un salarié ou défendre l’intérêt collectif de la profession qu’elle représente. Mais ce pouvoir a des limites.
Une organisation syndicale peut intenter une action devant les juges pour faire valoir les droits d’un salarié ou défendre l’intérêt collectif de la profession qu’elle représente. Mais ce pouvoir a des limites. | FRANCK FIFE / AFP
Comme toute personne morale, les syndicats professionnels peuvent agir en justice dès lors qu’ils ont réalisé les démarches relatives au dépôt de leurs statuts en mairie. Ce droit important leur permet de faire trancher des différends juridiques concernant un ou plusieurs salariés d’une entreprise ou d’une branche professionnelle en leur évitant les inconvénients d’actions individuelles en justice. Il est toutefois strictement encadré par le législateur et la jurisprudence.
Plaider pour les salariés vulnérables
Dans certaines hypothèses expressément prévues par le Code du travail, les syndicats peuvent se substituer aux employés en vue de défendre leurs intérêts individuels et déroger ainsi au principe selon lequel « nul ne plaide par procureur ». C’est particulièrement vrai pour les salariés en CDD ou en contrat de travail temporaire, les travailleurs à domicile et les employés discriminés ou victimes de harcèlement pour qui une action en justice s’avère particulièrement difficile. Les demandes formées au nom et pour le compte des salariés substitués peuvent concerner aussi bien la requalification d’un CDD en CDI (Cass. soc. 10 février 2016, n° 14-26.304), qu’une augmentation de salaire ou le paiement d’indemnités diverses.
L’intérêt collectif de la profession prime
Les syndicats professionnels peuvent également exercer, devant toutes les juridictions, les droits réservés à la partie civile concernant les faits qui portent un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession qu’ils représentent (art. L. 2143-3 du Code du travail).
Cette notion d’« intérêt collectif de la profession » n’est pas définie par la loi. Elle est pourtant essentielle car elle conditionne la recevabilité de l’action engagée par le syndicat. Selon la jurisprudence, l’intérêt collectif ne doit pas être confondu avec l’intérêt général, l’intérêt de l’ensemble des salariés d’une profession ou des membres du syndicat poursuivant. En effet, cette action syndicale vise à défendre les droits d’un groupe de salariés et à réparer le préjudice porté par l’employeur à leur intérêt collectif.
Ainsi, il a été jugé que les syndicats professionnels peuvent citer l’employeur devant un Tribunal correctionnel pour absence de déclaration d’un système de vidéo-surveillance à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cass. crim. 9 février 2016, n° 14-87.753), ou intervenir dans une instance prud’homale pour définir le temps de travail effectif (Cass. soc. 3 février 2016, n°14-22.219).
Pas toujours d’échappatoire
En revanche, les syndicats ne sont recevables pour demander la suspension d’une réorganisation qu’en l’absence de consultation des instances représentatives du personnel. Ils ne peuvent pas agir pour critiquer la procédure d’information et de consultation de celles-ci, ni solliciter la communication de documents non réclamés par elles (Cass. soc. 14 décembre 2015, n° 14-17.152).
De même, si les syndicats peuvent agir aux fins de faire juger que des évaluations de salariés obtenues sans consultation préalable des instances représentatives du personnel ne sont pas valables, ils n’ont pas pour autant qualité pour demander la destruction desdites évaluations (Cass. soc. 14 décembre 2015, n° 14-17.152). En effet, l’action tendant à la destruction des évaluations illicites déjà réalisées constitue un droit exclusivement attaché à la personne des salariés.
De la même façon, contester le transfert d’un contrat de travail est un droit réservé exclusivement au salarié, même si le syndicat dénonce à cette occasion une fraude alléguée aux droits des employés à la participation aux résultats de l’entreprise (Cass. soc. 9 mars 2016, n° 14-11.837).
Toutes ces décisions soulignent les limites de l’action en défense de l’intérêt collectif de la profession. En l’état, celle-ci permet aux syndicats professionnels de faire juger des questions de principe ou de portée générale et d’obtenir des dommages-intérêts pour compenser les atteintes portées à cet intérêt collectif. Toutefois, la mise en œuvre effective des principes jugés grâce à cette action reste subordonnée à l’action des personnes individuellement concernées.
Philippe Montanier, avocat associé, et Frédéric-Guillaume Laprévote, avocat counsel