L’armée de l’air française est « aux limites de ses possibilités », selon son chef
L’armée de l’air française est « aux limites de ses possibilités », selon son chef
Par Nathalie Guibert
Pour le général André Lanata, il ne peut y avoir de nouvelle opération sans moyens nouveaux.
Image d'une frappe d'un Mirage 2000 contre une position de l'Etat islamique à Rakka, en Syrie, fournie par l'armée française, le 23 novembre 2015. | AFP PHOTO/Etat-major des armées/ Marine nationale
Des avions militaires français sont-ils présents dans le ciel libyen ? Oui. Mais pour l’heure, « il n’y a pas de décision politique pour intervenir en Libye », a indiqué, mardi 8 mars, le chef d’état-major de l’armée de l’air, André Lanata. En Libye, a précisé le général lors d’une rencontre avec la presse spécialisée, il y a « des missions de reconnaissance faites pour documenter ce théâtre ». Paris s’en tient pour l’heure à des opérations discrètes, voire clandestines. Et demain ?
Si la décision politique est prise, il faudra, selon ce haut gradé, dégager des moyens, car c’est la suractivité qui caractérise aujourd’hui l’armée de l’air française. Les opérations extérieures, articulées autour de l’arme aérienne au Sahel, en Libye et au Proche-Orient, s’ajoutent aux nouvelles mesures de protection du territoire national, renforcées depuis les attentats du 13 novembre 2015. Il faut aussi compter les missions de soutien à l’exportation du Rafale, l’armée de l’air étant partie prenante de la formation des nouveaux clients, Qatar et Egypte. Sans oublier la mission première de la dissuasion nucléaire.
« Avec cette sollicitation, exceptionnelle, dans la durée, l’armée de l’air est aux limites de ses possibilités », assure le général Lanata. Après avoir perdu 25 % de ses effectifs (18 400 emplois supprimés), 40 % de ses emprises et 40 % de ses avions de chasse depuis 2008, elle est autant « profondément transformée » que « profondément engagée », indique-t-il.
Il faut jongler avec les équipements
Aussi, à la question de savoir si l’armée de l’air pourrait demain assumer une nouvelle opération en Libye ou ailleurs, son chef répond-il par une autre question : « Que veulent faire les autorités politiques ? » Pour le général Lanata, « s’il s’agit de se concentrer sur un effet coup de poing pendant six mois, on le fera. Mais après cela, on s’arrêtera, comme a dû le faire l’armée britannique après l’Irak, et on mettra plusieurs années à s’en remettre ».
Sur le papier, il semble pourtant y avoir de la marge : parmi les 180 d’avions de chasse qui sont aujourd’hui en ligne (soit neuf escadrons), une vingtaine seulement sont déployés à l’étranger, dispersés sur quatre bases avancées : Niger, Tchad, Abou Dhabi et Jordanie. Mais l’ensemble que forme un avion, avec ses rendez-vous obligés de maintenance et ses armements, ses personnels et leurs exigences de qualifications, ainsi que les équipements qui les entourent (ravitailleurs, transporteurs), aboutit à une équation plus modeste.
La flotte de chasse française, composée de Rafale et de Mirage, demeure hétérogène, et, souligne le chef de l’armée de l’air, il faut jongler avec les équipements – il existe quatre versions différentes de Mirage 2000 dont toutes ne peuvent être équipées des bombes GBU49 guidées au laser ou de capteurs d’images de nouvelle génération. En outre, les équipages sont essorés. L’armée de l’air communique sur le thème : « 8 Mirage 2000 en Jordanie, c’est l’équivalent de 40 avions en France, ils sont 5 fois plus sollicités. » Pilotes et navigateurs avalent 90 heures de vol par mission de deux mois, soit la moitié de leur temps de vol annuel tel que financé par l’Etat. Dans l’absolu, cela pourrait se gérer, mais à l’arrière, les jeunes pilotes n’ont plus assez d’équipements et d’heures disponibles pour se former. « C’est sur les aviateurs que reposent toutes les tensions du dispositif », indique André Lanata.
De nouvelles munitions achetées en urgence
Selon l’exécutif, la menace terroriste s’inscrit dans le long terme ; du côté des armées « nous nous organisons pour tenir dans la durée », ajoute-t-il. Mais cela demande des « ajustements ». « A mission nouvelle, moyens nouveaux », avait résumé récemment le chef d’état-major des armées, Pierre de Villiers.
Dans l’immédiat, la situation exige de basculer des moyens d’une opération à l’autre, comme Paris a commencé à le faire en déplaçant les Mirage 2000 présents à Niamey pour l’opération Barkhane vers le théâtre syro-irakien de l’opération « Chammal ». De quoi permettre aux escadrons de Rafale de reconstituer leurs forces.
Mirage 2000 de l'opération "Chammal" sur le tarmac, en février 2016. | ECPAD/AFP
Au-delà, l’armée de l’air compte sur de nouvelles commandes d’équipements. Cela concerne notamment quatre avions américains de transport C130-J prélevés sur les chaînes de l’armée de l’air américaine, avec des systèmes de désignation laser et des missiles au profit des forces spéciales. Des nouvelles munitions et des matériels de communication par satellite ont par ailleurs été achetés en urgence.
Du côté des personnels, les effectifs ayant été préservés par décision du président de la République depuis les attentats de novembre, la priorité est de recruter des mécaniciens d’avions de chasse. L’armée de l’air veut aussi renforcer ses centres de commandement, les infrastructures de ses bases projetées à l’étranger, le renseignement, et les forces spéciales.
Si une opération en Libye était décidée, « elle ne pourrait se faire qu’en coalition », souligne encore le général Lanata. Une façon de rappeler que l’armée française, avec ses moyens parfaitement modernes mais limités, ne saurait régler seule les problèmes sécuritaires du moment.