Abcès, infections, appareils mal posés, dents saines arrachées, outils cassés dans les gencives… Qu’est-ce qui a poussé l’ancien dentiste néerlandais Jacobus Marinus – dit « Mark » – Van Nierop à commettre de tels dégâts et à causer de telles souffrances à plus d’une centaine de ses patients, à Château-Chinon (Nièvre), entre la fin de 2008 et juillet 2012 ?

Le tribunal correctionnel de Nevers a rendu son verdict, mardi 26 avril, à l’encontre de celui qu’on surnomme le « dentiste de l’horreur » ou le « dentiste boucher », poursuivi pour « escroqueries », « faux et usage de faux » et « violences volontaires ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente », le condamnant à huit ans de prison, suivant ainsi les réquisitions du ministère public.

« Désastre sanitaire »

Lors du procès qui s’est tenu du 8 au 14 mars, la procureure Lucile Jaillon-Bru avait dénoncé le « désastre sanitaire » causé par cet homme aujourd’hui âgé de 51 ans et requis huit ans de prison à son encontre. Selon la magistrate, qui avait requis également une interdiction définitive d’exercer et le maintien en détention, les actes du Néerlandais n’étaient « pas des soins, mais des violences dont le but ultime était d’obtenir des remboursements » de l’Assurance-maladie.

Sur une centaine de victimes, la procureure a retenu des mutilations pour cinquante-trois d’entre elles, demandant une requalification des faits pour vingt autres, notamment en « violences avec préméditation », et trois relaxes. « Il n’a eu que du mépris pour les gens du Morvan, déclarant qu’ils avaient des dents pourries », avait-elle asséné en fustigeant « un homme qui n’assume rien », préférant « fuir » quand il doit répondre de ses actes.

Tout au long de son procès qui a débuté le 8 mars, le Néerlandais de 51 ans, au visage bouffi et vêtu du même pull bleu, s’est borné à répondre laconiquement : « Pas de commentaire » à l’évocation du cas de chaque plaignant. Au deuxième jour des débats, il avait toutefois reconnu être « responsable », avant de lâcher : « J’étais dans une situation psychique où les gens autour de moi ne m’intéressaient pas. » Un expert psychologue avait qualifié M. Van Nierop de « personnalité narcissique » avec un « défaut majeur de compassion ».

Dans une plaidoirie de près de quatre heures, son avocate, Me Delphine Morin-Meneghel avait dit comprendre que son attitude « puisse être prise pour du mépris », considérant pour sa part qu’il s’agit d’une « glaciation des sentiments ». « La problématique de Van Nierop, c’est qu’il a besoin de paraître pour être », a-t-elle ajouté. Ses belles voitures, achetées en leasing (ou crédit-bail) ; sa somptueuse maison, acquise à crédit ; ses belles femmes, deux anciennes prostituées. « Quand il perd tout matériellement, ça révèle au monde qu’il n’est rien, qu’il est vide intérieurement », avait notamment fait valoir MMorin-Meneghel, avant de réclamer la requalification de nombreux faits, ainsi que des relaxes et des prescriptions.

Très attendue par la centaine de parties civiles, l’audience, initialement prévue sur dix jours, n’avait finalement duré que la moitié, le prévenu restant quasi mutique dans son box.

« Petite piqûre, pas faire mal »

En 2008, c’est au contraire un homme avenant, à la carrure de rugbyman et qui menait grand train, que les habitants de Château-Chinon (Nièvre) avaient vu débarquer. Dans ce désert médical notoire, l’arrivée du dentiste, recruté par un chasseur de têtes néerlandais qui avait soumis la candidature de l’homme au conseil général du Cher, était une aubaine. Dans son cabinet moderne, il pouvait accueillir « entre 18 et 26 patients par jour », selon lui.

Mais dès 2011, les plaintes de patients commencent à s’accumuler. Ils dénoncent notamment « des dents saines dévitalisées », des soins douloureux et mal réalisés, ainsi que des surfacturations et diverses malversations. « Petite piqûre, pas faire mal », disait-il. Sous l’impulsion d’une victime, un collectif est créé, qui recensera jusqu’à 120 cas. En mars 2012, quand Sylviane se rend chez le docteur Van Nierop, elle n’imagine pas le calvaire qu’elle va vivre. L’ancienne femme de ménage, qui avait besoin d’un dentier en raison de ses dents très abîmées, se fait arracher huit dents saines. « Il m’a arraché huit dents d’un coup. Vous vous rendez compte ?! J’aime mieux vous dire que j’ai dégusté », témoigne-t-elle.

En juillet 2012, Mark Van Nierop prétend avoir le bras paralysé après un accident domestique et ferme son cabinet. A la fin de 2013, alors mis en examen et placé sous contrôle judiciaire, le Néerlandais fuit au Canada « pour [se] suicider ». Il y sera arrêté en septembre 2014, alors qu’il tentait en effet de mettre fin à ses jours, avant d’être remis à la justice néerlandaise puis française. Durant les investigations, il s’avérera qu’il avait déjà fait l’objet de sanctions disciplinaires aux Pays-Bas après des plaintes.

Nicole Martin, présidente d’un « collectif dentaire » regroupant une majorité de plaignants, s’est félicitée à l’issue du réquisitoire d’avoir « enfin été reconnue comme victime ». « Nous sommes bien les victimes et non les hurluberlus du Morvan », a ajouté cette sexagénaire au franc-parler.

L’un des avocats des parties civiles, Me Charles Joseph-Oudin, s’était inquiété avant l’audience de l’indemnisation des victimes, le dentiste étant insolvable et son assurance ayant annulé son contrat – une décision qui avait été confirmée par la cour d’appel de Bourges. La cour avait estimé que M. Van Nierop ayant fait une fausse déclaration auprès de son assureur, ce dernier n’était « dès lors, pas tenu de garantir les dommages ». Le Néerlandais avait certifié dans une attestation sur l’honneur lors de la souscription de son contrat auprès de la MACSF ne pas faire l’objet de poursuites aux Pays-Bas. Selon l’avocat, qui envisage la « possibilité » d’un pourvoi en cassation, une audience est prévue le 4 juillet devant la commission d’indemnisation des victimes d’infraction (CIVI) de Bourges pour que les victimes puissent obtenir une indemnisation auprès du Fonds de garantie des victimes.

Le procès du "dentiste de l'horreur"
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