Le metteur en scène et comédien Vincent Macaigne au Théâtre de la Ville, à Paris, en octobre 2014. | AFP/THOMAS SAMSON

Arte, jeudi 5 mai 22 h 50
Téléfilm

Si Molière vivait aujour­d’hui, et si on lui donnait une caméra, quel film ferait-il en partant de son Dom Juan ? La question est absurde, mais on se la pose en voyant Dom Juan et Sganarelle, que Vincent Macaigne a tourné d’après la pièce de Molière, à l’invitation d’Arte et de la Comédie-Française. Et l’on se dit que, oui, ce pourrait être cela, un film qui ne craint pas le scandale. Vincent Macaigne l’a réalisé en respectant les règles de la collection, qui a déjà offert de belles réussites, comme L’Illusion comique, de Corneille, par Mathieu Amalric : choisir une pièce jouée à la Comédie-Française ; tourner en quatorze jours maximum, avec les acteurs de la pièce ; respecter le texte ; ne pas excéder une heure et quarante minutes.

Il revient donc à Loïc Corbery d’être Dom Juan, et à Serge Bagdassarian d’être Sganarelle. Le prologue les montre la nuit, dans un jardin. Ils tirent le cadavre d’un prêtre, puis creusent une tombe où ils déposent le corps, sur lequel ils jettent de la terre. Alors, Dom Juan rit, d’un rire sarcastique. Ce Dom Juan n’est pas un « grand seigneur, méchant homme » en habit du XVIIe siècle. C’est un garçon d’aujourd’hui, qui porte un crucifix tatoué sur la poitrine, et « I want to die » dans le dos. Il réunit ses amis dans un grand hôtel pour une nuit d’orgie, où le tabac de Molière devient cocaïne, et il reçoit Elvire (Suliane Brahim) dans le couloir, en déshabillé.

Traité comme un fait divers

Violence et destruction, famine existentielle et désespoir : dès le début de Dom Juan et Sganarelle, Vincent Macaigne livre les clés de sa lecture de Molière, qu’il fait sien tout en lui étant fidèle. Son film traverse la nuit parisienne, troue l’aube de la banlieue et s’achève avec la mort de Dom Juan, en plein jour, sur les escaliers de l’Opéra Garnier, à ­Paris. On comprend qu’Arte ne le diffuse qu’à 22 h 50. Ce qu’on y voit pourrait choquer les âmes sensibles. Ne parlons pas de sexe, ni de drogue, ni du SDF frappé par ­Sganarelle et Dom Juan, dans la scène du mendiant, transposée dans un bois à prostitution.

Parlons de ce qui guide le film : un homme en fuite, à la recherche éperdue de l’instant de grâce qui le sauverait de la chute. Une chute ­sinistre. Le Dom Juan de Vincent Macaigne meurt comme dans un fait divers. Des photographes mitraillent son corps, une ambulance arrive et l’emporte, sous le regard de curieux.

On entend souvent La Marseillaise dans le film. Elle ressemble à une gueule de bois quand les amis de Dom Juan la chantent, et à une injonction inutile quand la chante son père, militaire (Alain Lenglet), avec qui il déjeune dans un restaurant chic. La scène centrale du film, elle, nous emmène dans un hôpital psychiatrique désaffecté, où Charlotte (Julie Sicard) et Pierrot (Jérémy Lopez) ne sont pas des paysans, mais de pauvres êtres, mis à l’écart. C’est l’une des plus réussies de ce film qui permet aux comédiens français de sortir de leurs gonds bien huilés, ce qu’ils font avec beaucoup de talent, en premier lieu Loïc Corbery et Serge Bagdassarian, sur qui Vincent ­Macaigne recentre l’histoire. Dom Juan est mince, Sganarelle obèse. Ils forment un couple insécable, torturé par un amour qui les dépasse. Un amour froid comme le baiser de la Camarde, que Vincent Macaigne met en scène avec un ­excès de vie éblouissant.

Dom Juan et Sganarelle, de Vincent Macaigne, d’après Molière (1 h 48).