Le oud d’Anouar Brahem fait rêver la Chapelle Corneille à Rouen
Le oud d’Anouar Brahem fait rêver la Chapelle Corneille à Rouen
Par Francis Marmande (Rouen (Seine-Maritime)
Le musicien faisait partie avec son quartet de la programmation du Hangar 23.
Le compositeur, improvisateur et joueur de oud, Anouar Brahem. | ARTHUR PERSET
Anouar Brahem, compositeur et improvisateur tunisien, pratique « le oud » (que l’on préfère à « l’oud », pour mieux coller à son origine arabe de al-oud) – le luth oriental. Lequel se joue au Maghreb, en Arménie, Grèce, Turquie… Cordes pincées, sonorité puissante, sombre et veloutée ; infiniment plus ductile, moins tempéré que la guitare, le oud se fond particulièrement bien avec les graves (Björn Meyer, Klaus Gesing, guitare et clarinette basses). Le très subtil François Couturier – malgré la rigidité harmonique du piano –, complète à la perfection un quartet (Souvenance) consacré par le label taillé sur mesure, à moins que ce ne soit l’inverse, ECM.
A Rouen (Seine-Maritime), vous aviez le Hangar 23. Docks, embruns, frégates, quatre-mâts et goélettes, filles et matelots olé-olé, reconverti dans le jazz sophistiqué et la musique des mondes aussi. Toute une histoire. Depuis février, la programmation du Hangar 23 (direction, Sébastien Lab) a rejoint celles dont le lieu d’accueil, désormais – sous la houlette de la ville et de la région – est la Chapelle Corneille. Ancienne chapelle du lycée Corneille qui, des Jésuites à la Wehrmacht, en passant par l’Ecole Centrale rompue à la pensée des Lumières et le modèle napoléonien toujours en vigueur, en aura connu des vertes et des pas mûres. Remarquablement rénovée, la « Chapelle Corneille » – le nom est marrant – est désormais l’auditorium à l’acoustique de Place royale, du port de Flaubert et Maupassant.
L'intérieur de la Chapelle Corneille-Auditorium de Normandie à Rouen. | ARNAUD BERTEREAU/AGENCE MONA
Méditation et hypnose « light »
Au lycée Corneille, se seront succédé Hector Malot, Maurice Leblanc, Antoine Blondin, Georges Dubosc, Michel Guérard, Jean Prévost, Rivette et l’ineffable Jean Lecanuet. A défaut des pierres dont on sait qu’elles ne parlent pas pour de vrai, on aimerait bien entendre la voix des confessionnaux. Alain et Paul Guth y ont enseigné. Le Hangar 23 prenait, dans la nuit des docks, des airs de squat et de coursives parfumés de goudron. La Chapelle Corneille est ciselée gothique, classique, d’un baroque sobre et majestueux propre à la dignité.
En tenue noire, compositions aussi millimétrées que la sonorité, le quartet de Souvenance produit une musique de méditation et d’hypnose « light ». Parfaitement dans la note du programme concoté par Hangar 23 : entre Galliano & Fresu (31 mars), et la violoncelliste Sonia Wieder–Atherton employée à célébrer avec sa profondeur habituelle Nina Simone qu’elle rend d’un geste très émouvant à la musique classique (26 avril), on aura du mal à glisser ici du drone métal ou quelque amoureuse extragance (sous-titre de La Place royale, de Corneille).
L'extérieur de la Chapelle Corneille-Auditorium de Normandie à Rouen. | ARNAUD BERTEREAU/AGENCE MONA
Une rêverie pleine de sagesse
Deux rappels, standing ovation (ce qui est devenu, un peu partout, le standard régulier), recueillement du public à la mesure du lieu, les quatre musiciens de Souvenance, s’octroyant une part très comptée d’improvisation, déclenchent une émotion aussi justifiée que bienséante. Ce qui permet de penser et dépenser les tours et détours d’une carrière de musicien : Couturier avec Celea, Thollot, François Jeanneau, Eddy Louiss, Wolfang Reisinger ou McLaughlin, ça fait soudain drôle. Pas moins que Klaus Gesing (de l’écurie ECM) dans ses antécédents coltraniens, « fusion » et autres. Ou le Suédois Björn Meyer dans ses passés afro-cubains et flamencos… Anouar Brahem le sait et le sent bien, qui entraîne son monde dans une rêverie pleine de sagesse. Il y faut une grande science et beaucoup de liberté aussi.
Après tout, puisque l’heure est au « cross over » et à l’improvisation, on notera, non sans témérité ceci : Brahma est celui des Trimurti, la Triade Hindoue, qui fait passer l’inarticulé (ànrita) au stade articulé (rita). Tiens donc ! Mais l’anagramme d’Anouar Brahem n’est elle pas : Brahma à Rouen ?