Les fans et la mort : les raisons d’une passion
Les fans et la mort : les raisons d’une passion
Par Marlène Duretz
Le décès d’une célébrité peut donner lieu à de stupéfiants témoignages d’affection. Peut-on parler pour autant de deuil ?, s’interroge cette semaine « Allo Marlène ».
Hommage devant la maison de Prince, à Chanhassen dans le Minnesota, au lendemain de la mort de l'artiste, le 22 avril. | SCOTT OLSON / AFP
Pourquoi est-on ému par la mort d’une célébrité avec qui nous avons entretenu une toute relative intimité ? Pourquoi tant d’effusions, d’afflictions et d’épanchements, à l’antenne des radios et des télévisions, comme sur les réseaux sociaux ? Souvenirs, regrets et tristesses s’étalent au grand jour. « Prince, ce génie créatif, vient de tirer sa révérence », a tweeté Manuel Valls, jeudi 21 avril, après l’annonce du décès du musicien et chanteur américain, ajoutant : « Les larmes sont, ce soir, “purple”, pourpres », tandis que des RIP numériques se sont multipliés sur les réseaux, lancés par des anonymes comme des célébrités.
S’agit-il d’un processus de deuil ?
Pour la psychologue Hamira Riaz, contactée par l’AFP au lendemain du décès de Prince, oui. Sur les réseaux sociaux, « toutes les étapes normales du deuil sont présentes : il y a d’abord eu le choc et le déni, puis un sentiment de colère face à la répétition de décès de stars, suivi d’une sorte de dépression », note-t-elle. Selon Alain Sauteraud, médecin psychiatre, psychothérapeute et auteur de Vivre après ta mort (Odile Jacob, 2012), « le deuil entraîne des réactions émotionnelles variées qui dépendent notamment des circonstances. Dans le cas de Prince, par exemple, il ne faut pas confondre la surprise bien compréhensible s’agissant d’un homme plutôt jeune et dont on ne savait pas qu’il avait des problèmes de santé, avec une réaction de deuil, qui exprime la peine et le chagrin à la séparation ».
Même si la célébrité n’a jamais partagé l’intimité de ses fans, l’émotion est réelle. « Il me semble normal que la disparition d’un artiste soit associée à des manifestations de tristesse et de deuil », considère M. Sauteraud, qui souligne « un effet de loupe indéniable, dû aux réseaux sociaux et au fait que, en un instant, des millions de personnes sont concernées par la mort d’un individu » et le font savoir. « Tout se passe comme si un “père” qui meurt avait des millions de femmes, de parents ou d’enfants… » ! Sans oublier la fonction cathartique essentielle du « commémorer ensemble ».
Comment expliquer cette émotion ?
Les relations qu’un grand nombre d’entre nous tissent avec des célébrités médiatiques peuvent être très particulières. « Alors que nous ne les connaissons pas personnellement, nous nouons avec elles des relations socio-affectives parfois très intenses, qui ne s’établissent en fait que dans un sens », écrivent Marie-Pierre Fourquet-Courbet et Didier Courbet dans la revue Communications (« Comment les fans réagissent-ils lors du décès de la célébrité ? », 2012). « Les célébrités ne sont pas éloignées de notre sphère personnelle, elles sont même les invitées plus ou moins permanentes de notre intimité », précise M. Sauteraud.
Leurs œuvres, qu’il s’agisse d’un titre musical, d’un livre ou encore d’un film, ont parfois même marqué de leur sceau indélébile la vie de l’anonyme, son histoire personnelle ou culturelle, ses états d’âme. Les célébrités se font les interprètes des sentiments ou pensées de leurs lecteurs ou auditeurs, marquant à jamais un moment de leur existence. « Elles représentent des êtres que l’on croit connaître parce qu’elles donnent une partie d’elles qui touche notre intimité. Elles sont associées à des moments amoureux, amicaux, familiaux, continue M. Sauteraud. Un artiste comme Prince, qui était un grand danseur, est de plus associé à l’érotisme. On retrouve cette particularité chez David Bowie ou Michaël Jackson, pas chez Léo Ferré ou Georges Brassens… »
Les endeuillés pleurent-ils la seule perte de leur idole ?
« La mort des autres nous fait prendre conscience de notre mortelle condition », rappelle le psychologue clinicien Pascal Couderc. Lorsqu’elle frappe un proche ou une célébrité, elle est un « rappel de notre finitude, du temps qui passe et du rapprochement de sa propre mort », renchérit Alain Sauteraud. La mort d’un tiers vient aussi raviver d’éprouvants souvenirs du décès d’une autre personne aimée : « La célébrité jouerait un rôle de médiateur socio-affectif entre le fan et une personne chère de son entourage », confirment le duo Fourquet-Courbet. « Cet artiste ne nous accompagnera plus par de nouvelles créations, de nouvelles émotions, confirme M. Sauteraud. On ne fera que revisiter ce qu’on connaît déjà. En ce sens, c’est parfaitement corrélé au deuil : le défunt nous accompagne toute notre vie parce qu’il nous constitue. Il est relocalisé dans notre monde intérieur. »