Les mystères et les enseignements de la baisse du chômage en mars
Les mystères et les enseignements de la baisse du chômage en mars
Par Adrien Sénécat
Peut-on considérer ces bons chiffres comme la première « vraie » baisse du nombre de demandeurs d’emploi sous François Hollande ?
La ministre du travail, Myriam El Khomri, s’est félicitée d'une « une baisse trimestrielle significative » du chômage. | DOMINIQUE FAGET / AFP
Le nombre de demandeurs d’emploi sans aucune activité (catégorie A) a diminué de 60 000 en métropole en mars, selon les chiffres de Pôle emploi. Il s’agit certes de la plus forte baisse en valeur absolue sur un mois depuis septembre 2000, mais est-ce suffisant pour affirmer que « ça va mieux », comme l’avait affirmé François Hollande le 14 avril ? Tour d’horizon chiffré.
Une baisse notable sur un trimestre…
La ministre du travail, Myriam El Khomri, s’est félicitée, mardi 26 avril, de ces chiffres qui viennent alimenter « une baisse trimestrielle significative » d’environ 50 000 personnes sans activité depuis le début de l’année 2016, malgré un mois de hausse en février. C’est, en effet, la première réelle baisse (– 1,38 %) du chômage sur cette durée depuis l’élection de François Hollande. Une première très légère baisse avait été constatée en 2015, quand Pôle emploi avait dénombré… 300 demandeurs d’emploi de moins en septembre par rapport à juin, soit une variation d’environ 0,01 %.
… mais un chômage toujours au plus haut
Reste que ces chiffres restent très élevés, que l’on se place à l’échelle du quinquennat de François Hollande ou sur un temps plus long. Il y avait, fin mars, 5,45 millions de demandeurs d’emploi sans activité et à temps partiel (catégories A, B et C) en France métropolitaine selon Pôle emploi, contre 4,36 millions en mai 2012.
Le taux de chômage en lui-même, qui est calculé sur d’autres chiffres, ceux de l’Insee, reste également très haut. Fin 2015, il était de 10,3 % contre 9,7 % début 2012.
Le chômage baisse chez les jeunes, pas chez les plus de 50 ans
Catégories A, B et C confondues, la baisse du chômage est la plus forte chez les moins de 25 ans. Sur cette tranche d’âge, le nombre de demandeurs d’emploi a reculé trimestre après trimestre depuis juin 2015. Et il retrouve un niveau comparable à ce qu’il était au milieu de l’année 2014, même s’il reste élevé comparé à la moyenne européenne. C’est aussi la première fois que le chômage recule sur un trimestre chez les 25-49 ans. Les plus de 50 ans, en revanche, ne profitent toujours pas de la baisse.
Y a-t-il un transfert entre catégories ?
Dans son communiqué, Myriam El Khomri a souligné un « net rebond » des déclarations d’embauche au premier trimestre. Les entreprises de moins de 250 salariés, notamment, ont plus embauché selon elle : « 4,7 % pour les embauches en CDI et 20,5 % pour celles en CDD de plus de six mois. »
Plusieurs représentants de l’opposition ont rapidement nuancé la baisse du chômage, comme Jean-Christophe Lagarde (UDI), qui l’explique surtout par « des radiations et des stages ».
La vérité sur la "forte baisse" du #chomage est révélée par ce doc @itele Des radiations et des stages... @UDI_off https://t.co/az7azrMsOE
— jclagarde (@JC Lagarde)
Un premier élément vient contredire l’idée selon laquelle cette baisse ne s’expliquerait que par un jeu de vases communicants entre les différentes catégories. D’abord, le chômage a bien baissé depuis décembre 2015, quel que soit le périmètre retenu :
– Catégorie A (demandeurs d’emploi sans activité) : – 1,38 %.
– Catégorie A plus B (en activité réduite « courte », soit moins de 78 heures par mois) et C (en activité réduite « longue » soit plus de 78 heures par mois) : – 0,44 %.
– Catégories A, B et C plus D (personnes sans emploi en stage, formation, maladie, etc.) et E (bénéficiaires de contrats aidés) : – 0,41 %.
Ensuite, la proportion de demandeurs d’emploi des différentes catégories est restée globalement stable ces cinq dernières années :
Par ailleurs, le ministère du travail assure qu’il n’y a pas eu de bug informatique susceptible de brouiller les chiffres, comme cela avait été le cas en août 2013.
Difficile de savoir combien de chômeurs ont vraiment retrouvé un emploi
On en apprend un peu plus encore dans le détail des chiffres. Chaque mois, en plus des chiffres sur les demandeurs d’emploi, Pôle emploi publie des données sur les « entrées » (les nouveaux chômeurs) et les « sorties » (ceux qui ne sont plus comptés dans les chiffres), qui regroupent les catégories A, B et C.
Les statistiques distinguent différents types de raisons de départ des listes de Pôle emploi :
– La reprise d’emploi, y compris en contrat aidé.
– L’entrée en stage.
- Ceux qui ne figurent plus sur les listes, parmi lesquels il faut distinguer les radiations (décision prise par Pôle emploi, dans 90 % des cas après une absence de réponse à une convocation et aux relances) des cessations d’inscription pour défaut d’actualisation du dossier par le demandeur d’emploi.
– Ceux qui arrêtent leurs recherches : DRE (dispense de recherche d’emploi, un dispositif fermé depuis 2012), arrêt maladie et autres (par exemple congé maternité).
– Les autres cas regroupent des situations variées comme les décès, les titres de séjour non valides, les changements d’agence avec changement de région Pôle emploi, ou encore les déclarations de situation mensuelle illisibles.
Contrairement à ce qu’affirme l’opposition, les entrées en stage, bien qu’à un niveau élevé (49 200 en mars, + 1 800 sur un mois) et les radiations (43 700, + 1 200) n’expliquent pas le gros des sorties des listes de Pôle emploi (512 800, + 11 200).
Les cessations d’inscription pour défaut d’actualisation ont joué dans des proportions nettement supérieures, à un niveau particulièrement élevé (225 800, + 7 800 par rapport à février). Problème : ces chiffres sont difficilement interprétables. Ils regroupent aussi bien des personnes qui ont retrouvé un emploi et ne l’ont pas signalé que de vrais chômeurs qui ont vocation à réapparaître dans les chiffres le mois prochain.
Les reprises d’emploi déclarées, quant à elles, ont peu augmenté d’un mois sur l’autre (100 600, + 400 par rapport à février). Mais elles ont tout de même retrouvé, sur la durée, un niveau supérieur à celui du creux de 2012 à mi-2015, ce qui constitue un signal plutôt positif pour l’emploi.
Moins de fins de contrat qu’en 2011
Les motifs d’« entrées » comptabilisés par Pôle emploi regroupent quant à eux…
– Les personnes qui quittent un emploi : fin du contrat de travail (CDD), fin de mission (intérim), licenciement économique ou autre, et démission.
– Les personnes qui cherchent un emploi mais n’en cherchaient pas le mois précédent : première entrée (le plus souvent à la fin des études), reprise d’activité (après une interruption d’au moins six mois ou inscription à Pôle emploi après un stage, un congé maladie ou un congé maternité).
– La rubrique « autres » comptabilise les inscrits à Pôle emploi après une activité non salariée, une rupture conventionnelle de CDI, ainsi que des situations « très spécifiques » qui ne sont pas identifiées.
Les « entrées », dans les chiffres de Pôle emploi, restent à un niveau élevé et n’ont que peu diminué en mars (509 100, – 300 par rapport à février). Les différents types de fins de contrat (hors démission), qui représentent un peu moins de deux entrées dans les chiffres sur cinq, ont néanmoins nettement baissé depuis le pic de fin 2011 (– 14 % pour les fins de CDD par exemple). Mais comme pour les « entrées », la forte proportion des « autres » brouille la lecture.
En résumé, les bons chiffres du chômage en mars et sur les trois premiers mois de l’année ne semblent pas être le fait d’une anomalie statistique ou d’un artifice comptable. Mais il faudra plus d’un trimestre à la baisse pour en tirer des conclusions, d’autant que les indicateurs économiques restent dans l’ensemble fragiles – trop, estiment certains économistes, pour entraîner une vraie baisse du chômage.