Un fermier répendant des pesticides dans son champ de patates le 30 mai 2012 à Godewaersvelde, dans le nord de la France. | PHILIPPE HUGUEN / AFP

« Quand on voit notre voisin agriculteur sur son tracteur traiter ses pommiers sans protection particulière, on se dit que ça va. Mais quand il arrive en tenue de cosmonaute, on se dépêche de faire rentrer les enfants ! » C’est ainsi que Marie Pasquier résume la cohabitation quotidienne de sa famille avec les arboriculteurs du Rhône, au sud de Lyon, dont les vergers les plus proches sont à cinq mètres de ses fenêtres. Elle dénombre « 20 épandages par saison, entre mars à septembre », qui la dissuadent d’avoir son propre jardin, car « ce n’est pas la peine d’essayer de cultiver des légumes bio par ici. » Elle ne sait pas quelle est la teneur des pulvérisations qui laissent un dépôt jaune sur sa terrasse. Sa famille a toujours vécu là, et elle a commencé à se documenter sur la question des pesticides après le décès de son père, mort d’un lymphome.

La maison des Pasquier fait partie d’un panel d’habitations examinées par Générations futures. L’association spécialisée dans le domaine des pesticides livre, mardi 1er mars, les résultats de tests menés dans 22 logements situés à proximité de vignes, de cultures de céréales ou de vergers. Les résultats sont édifiants.

En juillet 2015, les participants à l’enquête de Générations futures ont traqué les résidus de produits phytosanitaires chez eux, armés d’un aspirateur équipé d’un kit de prélèvement fourni par le laboratoire Kudzu Science. Les analyses qui ont suivi ont révélé qu’ils vivent dans un « bain de poussière aux pesticides » préoccupant, selon François Veillerette et Nadine Lauverjat, de Générations futures.

Douze perturbateurs endocriniens potentiels

En moyenne, 20 produits différents ont été détectés par habitation : 14 dans celles installées près de parcelles de grandes cultures céréalières, 23 près de vergers, 26 près de vignes. Douze sont de probables perturbateurs endocriniens. En quantité, ces molécules, qui sont suspectées d’influencer notre système hormonal, représentent même 98 % des échantillons : 17,3 milligrammes sur les 17,6 mg de résidus recensés par kilo de poussière.

L’enquête confirme que les inquiétudes des riverains d’exploitations agricoles intensives sont fondées. Ils sont bel et bien exposés à un ensemble de produits chimiques dont on connaît mal l’effet cocktail.

En plus des molécules de perméthrine qui pourraient provenir de bombes insecticides domestiques, le laboratoire a trouvé dans la totalité des échantillons du tebuconazole, un fongicide, et du dimethomorphe, utilisé contre le mildiou, un champignon qui affecte les cultures. Les experts ont aussi quantifié à plus de 90 % des fongicides – azoxystrobine et spiroxamine –, ainsi qu’un herbicide, le diflufenican. Ils ont décelé une proportion importante de chlorpyrifos, un insecticide, et même du diuron, un autre herbicide relevé chez la plupart des participants alors qu’il est interdit en France depuis 2008. Enfin, une deuxième série de prélèvements effectuée en janvier 2016 montre que la concentration de ces molécules chute fortement en hiver, après les pics des épandages estivaux.

Tergiversations

Sur les 61 substances actives analysées, 39 sont des perturbateurs endocriniens potentiels. Pour établir ce résultat, Générations futures s’est fiée au recensement établi à l’initiative de la scientifique Theo Colborn, une référence à la matière. Il n’existe en effet aucune liste officielle à ce jour. Les perturbateurs endocriniens sont pourtant suspectés d’être liés à certains cancers (prostate, testicule, sein), à des perturbations du système hormonal (obésité, diabète), de la reproduction et de la fertilité précoce chez les filles, ainsi que des troubles de développement du fœtus. Censée adopter une définition précise de ces contaminants le 14 décembre 2013 au plus tard, la Commission européenne tarde à s’exécuter. L’association espère que son étude viendra raviver la volonté du gouvernement français d’exiger que Bruxelles tergiverse un peu moins sur cette question et aboutisse enfin.

Le faible nombre d’échantillons recueillis pourrait être opposé à cette enquête. Elle s’explique par le manque de moyens de l’association, répond Nadine Lauverjat. « Voilà dix ans que nous travaillons sur les victimes des pesticides, rapporte-t-elle. L’une d’entre elles s’était lancée dans l’analyse des poussières de son logement à Léognan, en Gironde, nous avons trouvé que l’idée était bonne. Nous nous sommes donc adressés aux 400 personnes avec lesquelles nous sommes en contact à ce sujet, 80 ont répondu, mais nous avons dû exercer une sélection. Question de coûts. »

Vessela Renaud, l’une des participantes de l’enquête de Générations futures, témoigne de ses difficultés à cohabiter avec des cultures céréalières en Seine-Maritime. « Une fois, la rampe de notre voisin agriculteur pulvérisait à 2 ou 3 mètres des enfants qui jouaient, j’ai crié… Mais il ne voit pas où est le problème, il répond que lui et son père, l’ancien maire, utilisent des pesticides depuis soixante-dix ans, rapporte-t-elle. Alors j’écris des lettres, je prends des photos… »

En Gironde, l’inquiétude des riverains grandit. Le 1er mars, Marie-Lyse Bibeyran, l’une des figures du combat sur les pesticides dans ce département, doit remettre au préfet une pétition, forte de plus de 84 000 signatures, appelant à convertir à la culture bio « toutes les zones agricoles proches des établissements et infrastructures sportives et culturelles accueillant des enfants. »