Le ministre français des affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, et son homologue allemand Franck-Walter Steinmeïer, à Tripoli, le 16 avril. | MAHMUD TURKIA / AFP

Des incidents entre milices ont éclaté à Tripoli, dans la soirée de samedi 16 avril, alors que la capitale libyenne était restée calme depuis l’arrivée inopinée le 30 mars de Faïez Sarraj, le « premier ministre » d’un gouvernement d’« union nationale » en devenir, activement soutenu par les Nations unies. Des combats ont embrasé un quartier de la ville, Hay Andalous, quelques heures à peine après la visite expresse à Tripoli des ministres des affaires étrangères français, Jean-Marc Ayrault, et allemand, Frank-Walter Steinmeier.

Les deux ministres européens étaient venus exprimer leur soutien à M. Sarraj, qui reste cantonné, ainsi que son équipe du Conseil présidentiel (l’instance dirigeante du gouvernement d’« union nationale »), dans la base navale d’Abou Sitta en attendant de pouvoir prendre possession des ministères. Ces derniers sont toujours tenus par le gouvernement de facto de Tripoli (non reconnu par la communauté internationale) issu de l’ancien bloc politico-militaire Fajr Libya (Aube de la Libye), et dont le « premier ministre », Khalifa Ghweil, refuse de céder le pouvoir à M. Sarraj.

Circonstances des affrontements confuses

Les affrontements de samedi soir, dont le bilan serait de deux morts, selon des sources officieuses, se sont produits à proximité du domicile d’Ahmed Maetig, vice-président du Conseil présidentiel et premier ministre durant deux brefs mois (mai-juin 2014). Ils ont mis aux prises l’unité gardant la maison de M. Maetig, la Force mobile nationale — une katiba mixte mêlant des combattants de toutes les villes de l’Ouest libyen — à des hommes affiliés à la brigade des Révolutionnaires de Tripoli, un groupe armé dirigé par Haytem Tajouri, l’un des chefs miliciens les plus connus de la ville.

M. Maetig réside pour l’heure dans la base navale d’Abou Sitta, mais deux des gardes de son domicile ont été tués. Les circonstances des affrontements demeuraient confuses dimanche matin. Il n’était toujours pas établi si le domicile de M. Maetig avait été expressément visé par les miliciens de M. Tajouri ou si l’incident avait pour origine une dispute entre les deux groupes autour du contrôle de check points dans ce quartier huppé de Tripoli.

Les avis divergeaient également sur l’importance à accorder à ces affrontements. « Il s’agit de heurts mineurs qui n’ont pas de signification politique », relativisait un haut fonctionnaire joint par téléphone de Tunis. « C’est grave, cela illustre que la situation sécuritaire à Tripoli demeure précaire », insistait au contraire un militant politique proche de l’équipe de M. Sarraj. Le chef milicien Haytem Tajouri avait fini par se rallier à M. Sarraj lors de son arrivée, le 30 mars, après avoir menacé de le combattre quelques semaines plus tôt. Sa loyauté envers le processus que tentent de mettre en œuvre les Nations unies autour d’une formule de réconciliation nationale incarnée par M. Sarraj demeure néanmoins sujette à caution.

Fragilité du scénario

Quoi qu’il en soit, les incidents de samedi soir illustrent la fragilité du scénario que s’efforcent de consolider les Nations unies et les capitales occidentales. Ces dernières ne ménagent pas leurs efforts diplomatiques pour enraciner le gouvernement d’« union nationale » de M. Sarraj dans le but de stabiliser un pays plongé dans le chaos depuis l’été 2014, une instabilité qui favorise l’implantation de l’organisation Etat islamique et permet l’intensification des flux migratoires vers l’Europe.

La principale faiblesse du gouvernement de M. Sarraj est qu’il est à ce stade techniquement illégal. Le Parlement élu en juin 2014 et replié à Tobrouk ne l’a toujours pas formellement investi. Les partisans du général Khalifa Haftar, le chef en titre de l’Armée nationale libyenne (ANL), qui craignent de voir leur champion faire les frais de la réconciliation nationale sous la houlette de M. Sarraj, ont pour l’instant empêché la tenue d’un tel vote d’investiture. Or, plus le processus de légalisation du gouvernement de M. Sarraj traîne en longueur, plus les forces qui lui sont hostiles à Tripoli, démobilisées par son arrivée soudaine, sont susceptibles de se réorganiser. « Les forces anti-Sarraj à Tripoli sont en embuscade, elles attendent la première occasion », avertit un analyste proche des Nations unies.

Dans ce contexte, le bloc de milices qui avait soutenu M. Sarraj lors de son débarquement à la base navale d’Abou Sitta, court le risque de se fissurer. La question de la sécurisation de l’équipe de M. Sarraj à Tripoli, qui ne se posait pas de manière urgente dans l’euphorie initiale suscitée par son arrivée — l’opinion publique l’a accueillie avec soulagement —, va gagner en acuité. Les affrontements de samedi soir résonnent comme une alarme.