On a essayé… la Pegasus, la fausse console Nintendo qui a diverti les pays du bloc de l’Est
On a essayé… la Pegasus, la fausse console Nintendo qui a diverti les pays du bloc de l’Est
Par William Audureau
En Pologne, à la chute du Mur, les marchés ont été envahis par des machines de contrefaçon. La plus célèbre d’entre elles, la Pegasus, y est aujourd’hui culte.
Mise en place du plan de travail. | W.A. pour Le Monde.fr
Ils s’appellent Green Binary Land, Egg Tetris, ou encore Jogging Mario Bros. Vous ne risquez pas de les trouver dans les boutiques de jeu vidéo d’occasion, et pourtant, des millions de joueurs ont découvert les joies de la manette avec ces titres. Ils font en effet partie d’une compilation de jeux pirates modestement baptisée 168 in 1, tournant sur la Pegasus. Cette dernière est une console de contrefaçon taïwanaise, particulièrement populaire dans les pays d’Europe de l’Est dans les années 1990, notamment en ex-Yougoslavie et surtout en Pologne.
Avec son bandeau « Family Video Game », la Pegasus appartient à la catégorie des « famiclones », des machines de contrefaçon, pour la plupart construites à Taiwan à partir de la fin des années 1980. Le modèle qui les inspire est la Famicom, version japonaise de la célèbre première console de salon à cartouches de Nintendo, la Nintendo Entertainment System, ou NES.
La Pegasus était distribuée sur les marchés, entre les habituels stands de fruits et légumes, à des prix défiant toute concurrence, et surtout, accessibles au niveau de vie des anciens pays communistes. Aussi mythique en Pologne que l’a été la NES en France, la première Pegasus est l’objet d’une forte nostalgie et se vend aujourd’hui aux alentours de 275 zlotis (63 euros), presque aussi cher qu’une PlayStation 3 sur les sites de revente locaux. Mi-avril, Błażej Żywiczyński, producteur au sein de l’entreprise 11 bits studios (créateurs de l’audacieux jeu This War of Mine) et heureux possesseur de deux exemplaires encore en état de marche, a convié Pixels à un essai dans les locaux de son studio.
Robustesse et pouces en sang
Premier constat : la Pegasus a le charme suranné des consoles asiatiques des années 1980. Ronde, gris clair, avec ses deux prises manette à l’avant à la manière de la Famicom ou de la Super Nintendo, elle assume un positionnement de jouet électronique. Elle partage également avec son modèle japonais une caractéristique commune : une longévité à toute épreuve. Environ un quart de siècle après ses débuts (la date exacte n’est pas connue), la machine se lance sans broncher sur un bon vieux téléviseur cathodique. En comparaison, certaines consoles rétro récentes ne durent parfois pas plus de 48 heures.
Manette en main, on commence toutefois à déchanter. Très similaire au contrôleur de la NES dans sa forme générale, rectangulaire et anguleuse, elle s’en démarque par deux boutons supplémentaires, et, surtout, une rigidité opiniâtre. Il faudra de longs instants d’essais et d’échecs avant de réussir à naviguer dans son menu principal, juste le temps de comprendre que certains boutons ne s’activent qu’en s’écrabouillant le pouce dessus, jusqu’à ce qu’il change de couleur (le pouce, pas le bouton).
Prise en main de la manette, assez peu ergonomique. | W.A. pour Le Monde.fr
Plusieurs habitués de la machine concèdent qu’en dépit de sa robustesse et de sa popularité, la Pegasus s’est vite taillé une réputation de console peu ergonomique et capricieuse. Mais Nintendo ne s’étant jamais implanté en Pologne, et les lois sur la protection intellectuelle y brillant par leur absence, faute d’alternative officielle, c’est vers elle que les joueurs polonais des années 1990 se tournaient massivement.
Bidouilles et fantaisies
Choix du jeu parmi les 168 à disposition. | W.A. pour Le Monde.fr
Allumer la console avec sa cartouche 168 in 1 ouvre un monde merveilleux, celui de la contrefaçon élevée au rang d’art. En fait de 168 jeux, la cartouche comporte surtout une trentaine de jeux minimalistes, mais déclinés à chaque fois en multiples versions.
Certains sont d’authentiques clones, fidèles aux jeux d’origine dans le nom et dans le titre, comme Ice Climber, Baseball, Wild Gunman, Hoogan’s Halley ou encore Popeye, autant de productions des premières heures de la Famicom. D’autres apparaissent sous un nom incorrect (Mario Brother pour Mario Bros., Duck Shoot pour Duck Hunt, King Kong I pour Donkey Kong). Mention spéciale pour Balloon Fight, qui est listé sous le nom désinvolte de Different Balloon.
La plupart sont des variantes bidouillées avec les moyens du bord et présentées sous un titre fantaisiste. Pour le seul Super Mario Bros de Nintendo, citons en vrac Jumping Mario, Variant Bros., XO Mario, Skipping Mario ou encore Jogging Mario Bros., autant de versions trafiquées du jeu d’origine, reconnaissables à leurs textures étrangement modifiées.
Jumping Mario (Pegasus, c.1990) https://t.co/al3oMVVwBx
— Willvs (@William Audureau)
Le jeu de tir Contra, premier sur la liste, est fatalement le plus connu des joueurs. Il revient d’ailleurs dans près d’une vingtaine de versions différentes, elles aussi loufoques : Snow Drift Contra, Danger Zone Contra, Factory Contra, Monster Contra…
Les plus insolites sont toutefois à rechercher du côté de Tetris. Le fameux jeu d’origine russe a droit à plusieurs sauces différentes, selon l’élément graphique implémenté pour remplacer ses briques d’origine. On y manie ainsi des œufs dans Egg Tetris, ou des cœurs dans Red Heart Tetris I. A condition au passage de s’accommoder des commandes inversées : pour faire tomber instantanément un bloc, il faut appuyer sur la flèche… du haut.
Red Heart Tetris I (Pegasus, c. 1990) https://t.co/pBM9DKQzon
— Willvs (@William Audureau)
Liqueur d’ailleurs et d’antan
Dans ses meilleurs moments, la Pegasus ravive l’esprit d’émerveillement d’un enfant devant des jeux des années 1980, la bouche bée d’impatience et d’envoûtement devant les quelques dizaines d’éléments graphiques anguleux qui s’animent à l’écran. Mieux : 168 in 1 nous a permis de redécouvrir des jeux originaux injustement oubliés, comme Battle City de Namcot, un jeu de combat de tanks vu de dessus, aux faux airs de Bomberman.
Tank Battle City (Pegasus, c.1990) https://t.co/hmOL3QH5lT
— Willvs (@William Audureau)
En revanche, d’autres jeux emblématiques de la NES sont totalement absents de cette compilation. C’est notamment le cas de The Legend of Zelda, mais aussi de Metroid et de Dragon Quest, pourtant très populaires sur Famicom au Japon. Mais ceux-ci tournaient sur un périphérique de disque, et, en Occident, ont vu le jour sur des cartouches à la capacité de stockage de 128 ko, ce qui aurait probablement pris trop de place dans une compilation.
Au bout d’une heure, toutefois, les pouces ramollis de fatigue et de douleur, et l’esprit engourdi par la lenteur de certains jeux au rythme d’un autre âge, il a été convenu d’éteindre la console. La Pegasus se savoure avec modération, par petites gorgées, comme une vieille liqueur de fruits oubliés dans des fûts exotiques.
En bref
On a aimé
- Une longévité à toute épreuve
- Plein de Super Mario Bros. bizarres
- Un rapport prix-nombre de jeux imbattable
- Ecrire « J’ai joué à Red Heart Tetris I » sur son CV
On n’a pas aimé
- Légal en Pologne, moins en France
- Pouces de rechange non inclus
- Des graphismes absolument indignes de 1991
- On en fait quand même vite le tour
C’est plutôt pour vous si…
- Vous avez 275 zlotys dans vos poches
- Vous êtes un Indiana Jones de la manette
- Vous travaillez sur une exposition sur le jeu vidéo dans le monde
C’est plutôt pas pour vous si…
- Vous voulez faire tourner Call of Duty : Holographic Warfare VII Virtual Reality Edition
- Vous n’avez plus de téléviseur à prise analogique
- Vous êtes le directeur juridique de Nintendo
La note de Pixels :
168 sur 1