Longtemps pestiférée, Florence Griffith-Joyner est-elle en train de revenir à la mode ? L’image de la double détentrice des records du monde du 100 et 200 m féminin, décédée à l’âge de 38 ans en 1998, a été utilisée par la mode et la publicité à deux mois d’intervalle.

Sur la version américaine du site de la marque de chaussures Louboutin, on peut apercevoir un nouveau modèle baptisé FloJo. Flashy, elles reflètent sans l’ombre d’un doute l’excentricité légendaire de l’ancienne sprinteuse.

En février dernier, c’était la marque chinoise Huawei, spécialisée dans les télécommunications et l’informatique, qui mettait en scène dans un clip publicitaire la double championne olympique de Séoul, les bras levés, franchissant la ligne d’arrivée sous le slogan « Percée stratégique ». « L’image est faite pour être utilisée et les publicitaires excellent dans l’utilisation des images », lance l’universitaire Philippe Liotard, qui travaille notamment sur le corps, le sport et la sexualité.

« Talons aiguilles et Crampons alu »

Après la campagne chinoise, la polémique a gonflé : les critiques font toute référence aux forts soupçons de dopage qui règnent sur les performances de Griffith-Joyner. Elle avait notamment abaissé de 10 s 76 à… 10 s 49 le record du 100 m. La compagnie chinoise s’était défendue en arguant qu’il n’y avait aucune preuve d’un éventuel dopage.

« Ce retour de l’utilisation de l’image de Florence Griffith-Joyner interroge. Peut-on l’expliquer par la combinaison de l’hyperperformance et de la féminité que représente Florence Griffith-Joyner ? En tout cas, l’injonction faite aux sportives performantes d’être féminine ne date pas d’hier puisqu’un livre de 1986 traite de la question : “Talons aiguilles et Crampons alu” », tente d’expliquer Philippe Liotard.

L’histoire de l’ancienne championne américaine est à la fois triomphante et tragique. Pendant presque toute sa carrière dans les années 1980, FloJo est l’une des meilleures sprinteuses mondiales mais est loin de dominer le sprint féminin. En 1984, aux Jeux de Los Angeles, elle s’offre la médaille d’argent sur 200 m.

« En 1986, Florence Griffith-Joyner n’a presque pas couru ou, alors, dans des performances très moyennes (11 s 50 environ sur 100 m). En 1987, elle fait son retour en décrochant l’argent des Mondiaux de Rome sur 200 m. C’est en 1988 qu’elle a vraiment explosé en battant les records du monde du 100 et 200 m, ainsi qu’en remportant les deux titres olympiques à Séoul sur ces distances », rappelle Pierre-Jean Vazel, entraîneur d’athlétisme et auteur d’un blog sur le site du Monde.

Florence Griffith-Joyner lors des JO 1988. | STF / AFP

Pour le sociologue Philippe Liotard, l’image de la championne valorisée commence à se détériorer « à mesure de la masculinisation de son apparence » : « Florence Griffith-Joyner avait un corps très musclé tout en affichant une hyperféminité par son maquillage, ses ongles teints… Comme si elle affirmait plus que les autres athlètes encore qu’elle était une femme. »

Nouvelle icône ?

Après Séoul, l’attitude de l’Américaine est plus que surprenante. Elle ne dispute qu’un meeting à Tokyo avant d’annoncer à la surprise générale sa retraite sportive en février 1989. « Elle a prétendu revenir par deux fois : en 1992 sur… marathon et en 1996 sur… 400 m. A chaque fois, elle avait des choses à vendre », ajoute Pierre-Jean Vazel. En 1996, elle est victime d’une crise cardiaque. Deux ans plus tard, elle décède brutalement : l’autopsie révèle qu’elle est morte d’asphyxie à la suite d’une crise d’épilepsie.

Si elle n’a jamais été officiellement contrôlée positif, des champions olympiques l’ont accusée de dopage. Carl Lewis avait écrit en 1991 : « J’avais à son sujet les mêmes informations que sur Ben Johnson. Je les avais obtenues auprès d’autres athlètes et d’entraîneurs. Dans le milieu de l’athlétisme, l’opinion qu’elle s’était dopée était générale. » Champion olympique du 800 m (1984), le Brésilien Joaquim Cruz se montrait lui moins élégant dans ses accusations : « En 1984, Florence était très féminine. En 1988, elle est devenue une sorte de gorille. Ce n’est pas normal de devenir aussi musclée. »

Quoi qu’il en soit, que Florence Griffith-Joyner ait été dopée ou pas dopée, qu’on en ait une image positive ou négative, la sprinteuse la plus rapide de l’histoire ne cesse de faire parler d’elle dix-huit ans après son décès tragique. « Peut-être est-elle en train de devenir une icône… », confie Philippe Liotard.

1988, Florence Griffith Joyner, 100m, World record, Olympic Games, Seoul
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