Six mois dans l’intimité d’une cellule djihadiste en France
Six mois dans l’intimité d’une cellule djihadiste en France
Par Madjid Zerrouky
Le magazine « Spécial investigations » de Canal+ propose lundi soir une plongée d’une heure et demie au cœur d’une cellule djihadiste française, filmée en caméra cachée.
Sven Mary, l’avocat belge de Salah Abdeslam, qui a comparé l’intelligence de l’unique survivant du commando des attaques de Paris de novembre 2015 à celle d’un « cendrier vide », ne devrait pas être surpris en regardant « Soldats d’Allah », un documentaire diffusé lundi 2 mai par Canal+ : il s’agit d’une plongée d’une heure et demie au cœur d’une cellule djihadiste française, proposée par le magazine « Spécial investigations ».
Pendant plusieurs mois, un journaliste – Saïd Ramai, un pseudonyme – a infiltré en caméra cachée un groupe de radicaux désirant commettre un attentat au nom de l’organisation Etat islamique. Il est même devenu un des intimes de leur émir, un jeune de Châteauroux surnommé « Oussama » qui avait déjà passé cinq mois en prison après avoir tenté de rejoindre la Syrie. Après les attentats de Paris et de Bruxelles, ce travail d’investigation peut paraître déplacé de la part d’un journaliste, et de la chaîne qui le diffuse, tout comme la méthode consistant à infiltrer une cellule djihadiste et donc d’y appartenir, du moins dans le regard des autres membres qui agissent en considérant qu’ils comptent un militant de plus, une donnée qu’ils prennent en compte avant un passage à l’acte, mais il donne quelques indications sur les méthodes présumées et l’amateurisme apparent des « soldats d’Allah ».
Un coup de filet de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), qui les surveillait depuis le début, mettra fin en janvier aux projets de cette équipe d’apprentis djihadistes dont le plus vieux n’a pas 25 ans : des jeunes Français d’origine musulmane, un converti, la plupart fichés S (pour « atteinte à la sûreté de l’Etat »), dont la foi et l’idéologie sont un assemblage de bric et de broc ingurgité sur Internet.
« Il faut frapper une base militaire », assure Oussama au fil du reportage. « Quand ils mangent, ils sont tous alignés… Ta-ta-ta-ta-ta ! » ; « Il faut tuer les Français par milliers… » ; « Viens, frère, on va au paradis. Nos femmes nous y attendent […]. Tu auras un palais dont tu ne vois même pas les côtés, un cheval ailé fait d’or et de rubis. » Peu de religion dans les discussions de la cellule au-delà de formules à l’emporte-pièce et d’un prêchi-prêcha binaire qui réduit le monde extérieur aux « infidèles ». Saïd Ramai fait d’ailleurs chou blanc quand, au départ, il espère prendre contact avec des djihadistes en se rendant d’abord dans des lieux fréquentés par les salafistes. Ces derniers s’empressent de dire tout le mal qu’ils pensent de « Daech ».
Les « daechiens », c’est sur Internet que le journaliste les trouvera, via Facebook dans un premier temps. Puis sur Telegram, le réseau social le plus prisé par les djihadistes et leurs supporteurs. Et certains sympathisent rapidement avec lui. Comme Oussama, « l’émir » du petit groupe. Forum de discussion du groupe, l’application est aussi un intarissable pourvoyeur de littérature djihadiste qu’on ne trouve pas sur les sites Internet dits « classiques » : « En deux clics, je trouve comment fabriquer des bombes, piéger des voitures… », explique le journaliste.
Pas d’arabophone à la cybercriminalité de la gendarmerie
Un peu plus tard, le téléspectateur va constater, en revanche, que le centre de cybercriminalité de la gendarmerie nationale, dont l’une des missions est justement de traquer les contenus djihadistes, ne compte aucun arabophone. Son chef reconnaît même utiliser Google Translate pour analyser les informations qui circulent en ligne. Quant à l’application Telegram, les gendarmes avouent que l’ouverture de comptes et l’utilisation de pseudonymes étant « très encadrés par la loi », ils n’y pensent même pas.
A Châteauroux, les rendez-vous entre Saïd Ramai et « Oussama », dont il a gagné la confiance au point que ce dernier le prend sous son aile, vont se succéder sur plusieurs mois avec une obsession : réaliser un « truc de ouf », comprendre : un attentat. Dans le petit groupe qui gravite autour de l’« émir », les choses s’accélèrent à la fin de l’année au moment des attentats de Paris du 13 novembre – sans qu’aucun lien ne puisse être établi – quand la bande semble avoir établi un contact avec un réseau ou une personnalité de l’EI. Un certain Abou Suleiman, qui « arriverait de Rakka », « capitale » syrienne de l’EI, lui donne rendez-vous.
En fait, le journaliste infiltré ne le rencontrera jamais. C’est une femme en niqab qui lui remet alors une lettre : une consigne d’attaque lui demande de viser une boîte de nuit, tirer « jusqu’à la mort », attendre les forces de l’ordre et se faire exploser. Sauf que le groupe n’a pas d’armes, pas d’explosifs, pas d’argent et que le « donneur d’ordres » ne semble pas disposer à ce moment-là à lui en fournir – première phase d’approche, volonté de tester ? On ne saura pas.
Des membres du groupe à Orléans assurent finalement être parvenus à se procurer une kalachnikov, mais l’étau se resserre. Les premières arrestations ont lieu en décembre, les « soldats d’Allah » étaient en fait dans le collimateur de la police. L’« émir de Châteauroux » reste en contact avec l’un des membres du réseau, le plus jeune, perquisitionné, assigné à résidence et tout d’un coup beaucoup moins disposé à l’idée de participer à une équipée terroriste sur le territoire français. Mais « Oussama » cherche toujours à le convaincre, ce qui laisse pantois quant à l’amateurisme de « ce drôle de gang », selon les mots du journaliste. En janvier, la quasi-totalité du réseau est derrière les barreaux. Un membre, plus méfiant, qui a échappé au coup de filet, lui envoie un message, laissant entendre qu’il a identifié la « balance » : « T’es cuit, mec. »
« Balance » ? Le journaliste ne va pas si loin, même s’il affirme qu’il avait l’intention d’indiquer à la police l’emplacement de la kalachnikov enterrée pour lui dans un bois d’Orléans. Certains membres du groupe étaient de toute façon surveillés de longue date par les enquêteurs antiterroristes et la discrétion au final toute relative des échanges entre djihadistes laisse penser que la DGSI surveillait de près les « préparatifs » d’une éventuelle attaque.