Tchad : vingt-trois militaires et policiers portés disparus depuis l’élection présidentielle
Tchad : vingt-trois militaires et policiers portés disparus depuis l’élection présidentielle
Par Cyril Bensimon
Selon un document obtenu par Le Monde, les forces de l’ordre auraient agi contre ceux de leurs membres qui n’auraient pas voté pour Idriss Déby à la présidentielle.
Forces de l'ordre à N'Djamena le 14 avril, stationnées en ville pour prévenir les troubles après un scrutin contesté par l'opposition. | REUTERS
Combien de soldats, policiers et gendarmes manquent à l’appel au Tchad ? Plus d’une quarantaine, avancent certains à N’Djamena. Aucun, prétend le gouvernement. Ils seraient en fait, selon un document établi par la Ligue tchadienne des droits de l’homme obtenu par Le Monde, au moins vingt-trois portés disparus depuis le 9 avril. Un autre, Djasnabaye Allataroum, aurait été exécuté à Moussoro après avoir tenté de résister à son arrestation. Ces militaires et policiers, dont le sort demeure inconnu de leurs proches, ne seraient pas coupables d’actes de rébellion ou de mutinerie, mais seulement d’avoir choisi de ne pas voter pour le président sortant Idriss Déby, réélu le 10 avril dans un scrutin contesté par l’opposition.
Le 9 avril – au Tchad, les membres des forces de l’ordre votent la veille des civils – « les commandants et responsables militaires ont instauré des procédures parallèles de vote, indique le document. En effet, les agents doivent soumettre le bulletin de vote à leur responsable avant de le mettre dans l’urne. » Ceux qui ont refusé cette procédure ou voté pour l’opposition ont été « arrêtés immédiatement » : « Certains ont été bastonnés publiquement ; d’autres conduits dans les casernes pour y subir des traitements humiliants. »
Traitements inhumains et dégradants
Que sont-ils devenus depuis ? Selon « des sources dignes de foi », ils seraient détenus « dans des lieux secrets (…) soumis à des traitements inhumains et dégradants », mentionne encore cette note où figurent le nom de vingt-trois militaires et policiers ainsi que pour certains le matricule, le grade ou le poste d’affectation. Un sergent-chef aurait ainsi été « gardé à la prison à la présidence de la République » avant de réussir à fuir grâce à sa maîtrise de la langue des Zaghawas, la communauté du chef de l’Etat. Par ailleurs, quatre policiers ont été libérés le soir de leur arrestation après l’intervention du porte-parole de la police.
Alertée par vingt-et-une familles de « disparus », la Ligue tchadienne des droits de l’homme (LTDH) a enquêté auprès des morgues, des centres de détention et des hôpitaux. Ces recherches n’ont à ce jour pas permis de déterminer si des morts sont à déplorer. Joint à N’Djamena, le président de la LTDH, Midaye Guerimdaye, dit être encore « à la phase de recoupement » mais que les informations fournies par les familles, dont certaines ont préféré garder l’anonymat par crainte de représailles, laissent entendre qu’« il s’agit manifestement de simples soldats, des sous-officiers qui ont exprimé leur choix politique en faveur de l’opposition et ne sont pas réapparus depuis ».
Si aucune plainte n’a encore été déposée, la LTDH et Amnesty International ont appelé les autorités tchadiennes « à faire la lumière en mettant en place une commission d’enquête indépendante et impartiale ».
« Ils peuvent dire ce qu’ils veulent, mais c’est une manière de calomnier le gouvernement et les responsables de l’armée, rétorque Ahmat Mahamat Bachir, le ministre de la sécurité publique. Saleh Kebzabo [l’un des leaders de l’opposition] a donné des noms de militaires dont on avait soit disant retrouvé les cadavres. Nous les avons fait revenir les quatre à N’Djamena et ils se sont exprimés le 21 avril à la télévision, à la radio. Ils sont depuis repartis en mission dans le Nord. » Et pour tous les autres dont les familles attendent un signe de vie ? « Qu’on nous donne les noms et vous verrez que rien de tout cela n’est vrai », assure le ministre alors qu’une enquête a été confiée à la police judiciaire.
Le ministre français de la défense Jean-Yves Le Drian de passage à N'Djamena les 28 et 29 avril 2016 pour signer avec le président tchadien Idriss Deby Itno un accord de coopération militaire. | BRAHIM ADJI / AFP
Ces départs précipités en mission laissent dubitatifs, y compris à Paris, le plus sûr soutien d’Idriss Déby à l’international. Selon une source officielle française de haut niveau, « quelques-uns de ces soldats dont on est sans nouvelles sont des interlocuteurs des coopérants militaires français sur place ». Si le sujet a pu être évoqué en tête à tête entre Idriss Déby et Jean-Yves Le Drian, le ministre français de la défense, en visite au Tchad cette fin de semaine après être passé par Abuja au Nigeria, nul doute que Paris demeurera discret. N’Djamena, qui abrite le quartier général de l’opération Barkhane, est aujourd’hui un partenaire trop précieux dans la lutte contre les groupes djihadistes affiliés à Al-Qaida ou à l’Etat islamique.