Un thon albacore, au marché aux poissons de Sydney (Australie), en décembre 2014. | PETER PARKS / AFP

Depuis le 15 avril, Le Monde suit, à bord de l’Esperanza, la campagne de Greenpeace destinée à renseigner et dénoncer la surpêche des thons tropicaux, aggravée par la technique des dispositifs de concentration de poissons (DCP). Une méthode de pêche particulièrement dévastatrice. Durant six semaines, l’ONG naviguera dans le canal du Mozambique, entre Madagascar et Mayotte, au sud des Seychelles, traquant ces dispositifs.

Le bilan est alarmant pour les amateurs de thon en boîte. Les trois principales espèces de thons tropicaux qui fournissent les conserveries de l’océan Indien, ne sont protégées par aucun quota. Parmi elles, l’albacore, appelé aussi thon jaune, est nettement en danger : sa population est surexploitée à 94 %. Si la tendance n’est pas inversée, le point de non-retour pourrait être atteint dès 2017, préviennent les scientifiques qui conseillent la Commission thonière de l’océan Indien (CTOI).

Cette organisation - qui est censée veiller à la gestion durable de la pêche dans cette partie du monde - doit tenir sa prochaine session plénière, la vingtième, à Saint-Denis (La Réunion) du 23 au 27 mai. A la veille de cette rencontre, les pressions se multiplient sur les trente-deux parties prenantes qui la composent, car il est urgent d’imposer des mesures de sauvegarde pour les thons de l’océan Indien. Mais les décisions s’y prennent par consensus et il n’est pas facile d’obtenir des positions communes de pays comme l’Espagne, les Maldives, la France, l’Indonésie, l’Iran, le Sri Lanka, les Seychelles, Taïwan et le Japon, pour ne citer que les principaux pêcheurs.

En 2015, les participants s’étaient mis d’accord pour interdire d’éclairer les Dispositifs de concentration de poissons (DCP), déployés la nuit dans la région, car cette pratique s’avère décidément trop efficace. L’année précédente, elle avait créé un premier groupe de travail sur la question des DCP, tout comme son homologue pour la Conservation des thonidés de l’Atlantique. Ce tout petit premier pas ne suffit pas.

L’Europe, premier marché d’exportation

L’Union européenne est le premier marché d’exportation des produits de la pêche au thon de l’océan Indien

Les ONG de défense de l’environnement ne sont pas les seules à s’inquiéter de cette inaction. La Commission européenne envisage de proposer soit une baisse de 20 % des captures, soit de fermer la pêche à l’albacore et de deux espèces de la famille des marlins entre autres, à tous les bateaux de plus de neuf mètres de long pendant un mois. Les armateurs français ne sont pas prêts à accepter cette dernière mesure. Bruxelles pourrait demander en outre une baisse de 15 % des DCP et l’interdiction du transbordement de poissons, c’est-à-dire le transfert de cargaison en mer, car cette pratique empêche de fait tout contrôle. Sa voix peut compter : l’Union européenne est le premier marché d’exportation des produits de la pêche au thon de l’océan Indien.

Or les tendances à la pêche excessive sont telles que la filière agroalimentaire de la mer vient de signer collectivement un communiqué engageant la CTOI à agir. Sous les bons auspices du Fonds mondial de la nature, le WWF, une trentaine d’acteurs du secteur ont rédigé à la mi-avril un appel en ce sens. Le secrétaire général de Petit Navire, Armaury Dutreil, vient d’annoncer son intention de « réduire de 20 % ses productions à base de thon albacore issu de l’océan Indien à l’horizon des trois ans », ce qui équivaudrait à 15 millions de boîtes de moins, précise-t-il. Cette volonté affichée de ménager la ressource est importante car elle émane d’une des marques achetée, comme de nombreuses autres en Europe notamment, par le géant mondial du secteur, Thaï Union. La grande conserverie de Victoria, aux Seychelles, qui lui appartient, est l’une des plus importantes du monde. Elle devrait donc revoir à la baisse son approvisionnement en albacore de la région… et donc puiser davantage dans d’autres stocks de thons, annonce Petit Navire.