Transition énergétique : à défaut de prédire l’avenir, il faut le dessiner
Transition énergétique : à défaut de prédire l’avenir, il faut le dessiner
C’est précisément parce que les évolutions du parc français après 2018 se préparent aujourd’hui que la programmation pluriannuelle de l’énergie doit fixer des orientations, malgré les difficultés que la filière peut rencontrer.
Centrale nucléaire de Cattenon, en Moselle. | FRANCIS CORMON/HEMIS.FR
Par Michel Colombier, pour le comité d’experts sur la transition énergétique
Comment mener la transition énergétique sans fixer de direction ? Le gouvernement a dévoilé la semaine dernière ses objectifs de développement des énergies renouvelables, mais a différé la présentation de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) à début juillet. L’exercice de PPE est certes difficile, mais sa finalisation doit rester une priorité. Au risque de voir s’aggraver les difficultés qui menacent déjà l’équilibre du système énergétique français et la conduite de la transition énergétique.
Si l’attention se focalise aujourd’hui sur le secteur électrique, il s’agit plus largement d’engager des investissements importants dans l’ensemble du système énergétique, côté production mais aussi côté demande (rénovation des bâtiments, transports urbains, déploiement de bornes de recharge pour véhicules électriques, etc.). La transition requiert la montée en puissance de filières professionnelles nouvelles, que ce soit du côté des équipementiers, des ingénieurs ou des installateurs. Elle mobilise donc dès aujourd’hui capital et ressources humaines, pour répondre aux besoins à venir. Tout cela doit certes être réalisé dans un contexte de fortes incertitudes : prix des énergies, conjoncture économique, réponse des différents secteurs aux dispositions de la loi de transition énergétique, décisions réglementaires à venir.
Identifier les actions à mener
Mais, si la PPE ne peut prédire l’avenir, elle doit le dessiner : identifier, pour les prochaines années, un ensemble d’actions robustes à mener, tout en envisageant les adaptations possibles. La PPE est nécessaire et urgente pour offrir à tous les acteurs de la transition, et notamment aux opérateurs privés, une perspective robuste. Ceci afin de mobiliser les énergies, de minimiser les risques et donc le coût du capital, de favoriser l’innovation, et d’éviter les coûts économiques et sociaux liés à des investissements qui auraient été mal anticipés. Elle doit dans le même temps garantir un emploi efficace des deniers publics et une stratégie viable pour les entreprises dont l’état est actionnaire.
C’est sur ce dernier point, on le sait, que se cristallisent aujourd’hui les difficultés. L’objectif de réduction de la part du nucléaire à 50 % de la production électrique, retenu par la loi de transition énergétique, continue de diviser. Au-delà, les modalités de mise en œuvre font débat, dans une période où EDF est à la fois confrontée à des décisions difficiles sur la filière nucléaire et fragilisée par l’évolution défavorable du marché de l’électricité. Il serait malvenu d’ajouter à ces difficultés en arbitrant à l’avance sur les évolutions du parc français après 2018. Mais c’est précisément parce que ces évolutions se préparent aujourd’hui que la PPE doit fixer des orientations. C’est d’ailleurs ce que soulignait le PDG d’EDF dans sa réponse à l’avis de la Cour des comptes : « La PPE sera déclinée dans le plan stratégique d’entreprise (…). Concernant l’objectif de réduction de la part du nucléaire à 50 % à l’horizon 2025, il est difficile d’en évaluer à ce stade les conséquences, tant que cet objectif et les hypothèses sous-jacentes ne seront pas déclinés de façon plus précise. La publication de la PPE devrait permettre de mieux cerner ces points. »
Jusqu’à 100 milliards d’euros mobilisés
Actuellement, EDF est engagée dans un programme, dit du « Grand carénage », visant à répondre aux exigences de sûreté post-Fukushima et à prolonger la durée de vie des centrales au-delà de quarante ans, sous réserve de l’avis de l’Autorité de sûreté nucléaire. Ce programme devrait mobiliser près de 100 milliards d’euros d’ici à 2030 s’il est réalisé sur l’ensemble du parc, et la Cour des Comptes s’interroge sur la nécessité de le redimensionner, pour concentrer les investissements sur une partie des réacteurs seulement. Mais cela suppose d’arbitrer maintenant sur sa programmation temporelle, et sur la stratégie à adopter pour les différentes générations de réacteurs. Entrent alors en ligne de compte des considérations techniques et économiques, mais aussi organisationnelles quant aux capacités industrielles à mobiliser.
Inversement, poursuivre simultanément ce programme sur l’ensemble du parc nucléaire et le développement annoncé des autres filières (renouvelable notamment) risque de mettre la France en situation de surcapacités croissantes. Dès 2023, ce seraient plus de 100 TWh qui ne trouveraient pas preneurs sur le marché français, soit près du quart de la consommation intérieure. Pourrons-nous exporter cette énergie sur un marché européen aujourd’hui en surcapacité et où le prix de l’électricité a chuté à 26 €/MWh en 2016, quand la Cour des comptes estime son coût de production à 65 €/MWh ? Devra-t-on réduire la production, avec pour conséquence une hausse quasi proportionnelle de ce coût ? Serons-nous contraints de donner un coup d’arrêt soudain aux filières renouvelables ? Quelle est alors la perspective industrielle offerte par les objectifs affichés aujourd’hui ?
C’est l’ensemble de ces options que la PPE doit évaluer et arbitrer en toute transparence, pour préciser rapidement les paramètres clés de l’évolution du système.
Michel Colombier, président du comité d’experts sur la transition énergétique