Pascal Nègre, en janvier 2012 à Cannes. | VALERY HACHE / AFP

Le dynamiteur breton a encore frappé. A l’issue de l’annonce des résultats de Vivendi, dont Vincent Bolloré est l’actionnaire de référence, l’annonce a été faite, jeudi 18 février, de la mise à l’écart de Pascal Nègre. L’emblématique patron d’Universal Music France, première major du disque qui détient près de 45 % de parts de marché dans l’Hexagone, est remplacé par Olivier Nusse, responsable du label Mercury.

Après le changement de fond en comble de l’équipe de direction de Canal+, l’an passé, autre filiale de Vivendi, le limogeage en août 2015 d’Arnaud Delbarre qui dirigeait la salle l’Olympia à Paris, ou encore le départ du président de Dailymotion, le tout-puissant actionnaire de Vivendi continue de placer des hommes liges à la tête des entités de son empire.

C’est au Britannique Lucian Grainge, patron d’Universal Music Group (UMG), dont le siège est à Los Angeles et qui emploie 7 600 personnes à travers le monde, qu’est revenue la pénible tâche de remercier Pascal Nègre. M. Grainge, dont le contrat a été renouvelé en juillet, était pourtant opposé au départ de Pascal Nègre, l’un de ses quatre vice-présidents internationaux, en charge des activités « new business », au niveau mondial, et en plus de la France, responsable de l’Italie, du Proche-Orient et de l’Afrique. Mais il n’a rien pu faire, le choix de se séparer de M. Nègre venait de plus haut.

Les rumeurs du départ de Pascal Nègre, qui dirige Universal Music France depuis sa création en 1998, remonte à un an. Dans son livre Sans contrefaçon (Fayard, 2010), Pascal Nègre expliquait : « J’ai signé, début 2010, le contrat qui me maintient à la présidence d’Universal Music France jusqu’au 31 décembre 2015. » Au cœur de l’été, Le Canard enchaîné se faisait l’écho des relations tendues entre le patron incontournable et indépendant d’Universal et son actionnaire. Selon un proche cité par l’hebdomadaire, l’homme fort de Vivendi avait réalisé qu’« il possédait une maison de disques, avec des artistes sous contrat, une filiale de billets de spectacle, des chaînes de télé » et que chacune de ces structures travaillait dans son coin.

Entre l’armateur breton et l’homme à la veste en peau de python, le courant ne passe pas.

M. Bolloré n’a pas de goût pour les paillettes. Et, entre l’armateur breton et l’homme à la veste en peau de python, représentant décomplexé du monde de la musique, c’est peu dire que le courant ne passait pas. Depuis la prise de contrôle du groupe Vivendi par le groupe Bolloré en mai 2014, les deux dirigeants ne se sont rencontrés en tête à tête qu’à la toute fin de l’année dernière, juste avant la fin du contrat de Pascal Nègre. Et cela faisait deux mois que Pascal Nègre dirigeait Universal sans avoir été renouvelé, alors que M. Nusse, son dauphin désigné, responsable du label Mercury, piaffait d’impatience.

Mais, derrière les différences de style, une divergence de fond oppose les deux hommes. Vincent Bolloré croit aux « synergies » ou aux « convergences », des maîtres-mots dans sa bouche ou dans celle de ses proches Dominique Delport, Arnaud de Puyfontaine, Simon Gillham, etc. Contrairement à la logique de ces équipes venues d’Havas et de la publicité, où la rationalité est érigée en valeur, M. Nègre vient d’un secteur, la musique, où « deux plus deux font rarement quatre, mais peuvent faire six ou huit, en cas de succès, et trois quand ça rate ».

Une divergence de fond

En se séparant de Pascal Nègre, Vincent Bolloré remercie « le producteur de musique français le plus connu à l’étranger », souligne la presse anglo-saxonne. Un homme dont Doug Morris, l’ex-patron charismatique d’Universal devenu depuis celui de Sony, tressait les lauriers en juin 2015 lors du Marché international du disque et de l’édition musicale, en soulignant : « Il y a un homme d’exception en France, dans la musique, c’est Pascal Nègre. »

Après Eddie Barclay (1921-2005), surnommé « l’empereur du microsillon », Pascal Nègre est le deuxième producteur français de musique le plus connu du grand public. Il doit cette célébrité, non seulement à ses passages aux émissions de découvreurs de jeunes talents musicaux à la télévision que sont la « Star Ac » et « The Voice », mais aussi à son tempérament de fêtard. Agé de 54 ans, M. Nègre, qui a commencé comme simple attaché de presse au moment de l’émergence des radios libres, a gravi les échelons, jusqu’à diriger pendant dix-sept ans, la première major de la musique.

De la musique, il a connu son âge d’or, du temps des CD, mais aussi sa crise brutale et sa descente aux enfers qui s’est traduite par la fonte de la moitié du chiffre d’affaires du secteur depuis 2003. Sous sa houlette, Universal est en France la maison de disques qui a détruit le moins d’emplois, même si, comme les autres − Sony, Warner −, il a dû fermer des labels et réaliser des licenciements. Pour la filière musicale, Pascal Nègre portait une vision. Récemment, il estimait que « le streaming [l’écoute en ligne sans téléchargement] allait permettre à l’industrie musicale de revenir à son niveau d’avant la crise ».

S’il aimait dessiner une stratégie, Pascal Nègre a également toujours eu une très grande ambition pour ses artistes. Il aura été le producteur qui a relancé la carrière de Johnny Hallyday et celui qui lui a fait vendre le plus de disques, jusqu’à la rupture en 2004. De Mylène Farmer à Pascal Obisbo, en passant par Zazie, Florent Pagny, Marc Lavoine, Khaled, Carla Bruni, Nekfeu, la liste des chanteurs-interprètes qui lui sont attachés est longue. Tout au long de sa carrière, le chef d’entreprise a toujours montré un très fort attachement à la diversité qui s’exprime par les différents labels musicaux, rassemblés au sein d’Universal. Il a aussi joué à fond la carte du catalogue, politique qui l’a conduit à détenir les droits de presque tous les grands chanteurs disparus : Brassens, Brel, Barbara, Gainsbourg, Ferré, Moustaki, ou vivants : Gréco, Nana Mouskouri.

Pour succéder à Pascal Nègre, le management de Bolloré a choisi Olivier Nusse, passionné de rugby, qui travaille depuis vingt ans chez Universal et dont le parcours à la tête de Mercury est sans faute. Ce label, qui a produit Stromae, Louane ou encore Kendji Girac, a fait en 2015 sa meilleure année depuis douze ans. A la tête du bureau export de la musique, ayant fait une école de commerce, Olivier Nusse a un parcours plus classique et plus proche des standards du business que Pascal Nègre. Par sa famille, il s’inscrit dans la lignée des papetiers Clairefontaine. Une histoire qui résonne sans doute du côté de Vincent Bolloré. L’empire du Breton a été construit sur le papier OCB. Succédant à l’« iconique » Pascal Nègre, selon les mots de la presse britannique, l’héritier, Olivier Nusse, va devoir fendre l’armure pour s’imposer dans un univers où l’image compte autant que le son.