Avec ses restaurants halal, ses cafés où l’on sert du thé à la menthe en fumant la chicha et sa grande mosquée, où plus de quatre mille fidèles prient chaque vendredi, on pourrait presque se croire en Egypte ou en Jordanie. Mais Yiwu est à deux heures de route à peine de Shanghai. Une ville commerçante ouverte depuis plus de quinze ans sur l’Afrique et le Moyen-Orient. Plus de 200 000 commerçants arabes et 80 000 Africains s’y rendent chaque année pour faire leurs emplettes. Trois mille d’entre eux y sont même installés en permanence.

Souleymane est l’un d’entre eux. Débarqué en Chine avec quelques milliers de francs CFA en poche, à peine de quoi financer sa première cargaison de sandales et de tee-shirts, ce jeune Sénégalais partage un bureau miteux avec deux de ses associés au troisième étage d’un vieil immeuble de Yiwu. La ville est sa caverne d’Ali Baba. « On y trouve de tout, explique-t-il. J’envoie un conteneur par mois en moyenne vers l’Afrique et j’arrive à gagner largement de quoi faire vivre ma famille. »

Thermomètre des échanges Chine-Afrique

Le secret de Yiwu c’est d’abord une avalanche de chiffres : trente mille magasins et plus de deux millions de mètres carrés de commerces en tous genres. L’équivalent de huit cents terrains de football recouverts de boutiques multicolores où l’on trouve montres, guirlandes, fleurs en plastique, vêtements bon marché, perruques, sandales, meubles et luminaires… Un véritable supermarché des bonnes affaires.

La ville de Yiwu est un peu le thermomètre de la Chinafrique. Celle du petit commerce loin des matières premières, de la politique et des infrastructures. Depuis cinq ans, à contre-courant de la crise, les affaires s’y portent très bien. Les échanges entre l’Afrique et la Chine ont beau connaître un coup de froid, à Yiwu, au contraire, c’est la fièvre acheteuse : les échanges entre la Chine et le continent y ont été multipliés par vingt depuis 2010, selon les chiffres officiels des douanes chinoises.

A elle seule, Yiwu représente déjà 2,7 % des échanges commerciaux entre la Chine et l’Afrique, soit 7,7 milliards de dollars en 2015 ! « L’Afrique, en tant que continent, est le deuxième partenaire commercial de Yiwu après l’Asie », explique l’adjoint au maire de la ville, Xiong Tao.

Plus intéressant encore, la ville est aussi devenue un carrefour pour les marchandises africaines exportées vers la Chine. On trouve à Yiwu plus de cinq mille produits africains différents : des boubous, des djembés, mais aussi des savons et des cosmétiques traditionnels importés de vingt-neuf pays. On les retrouve sur les étals du « Yiwu International Trade City », le supermarché de la Chinafrique.

1 500 conteneurs par jour

Depuis 2010, les importations en provenance d’Afrique ont été multipliées par trente. Un commerce sur lequel surfent également les entreprises locales. 16 % d’entre elles ont déjà pris pied sur le continent investissant un total de 39 millions de dollars dans sept pays du continent, selon les chiffres de la mairie de Yiwu. Mais l’essentiel du commerce se fait dans l’autre sens, de la Chine vers l’Afrique.

Chaque jour près de mille cinq cents conteneurs quittent ainsi Yiwu pour le port de Ningbo, à une encablure de là. Direction Dubaï, pour 20 % d’entre eux, et de là les ports d’Afrique de l’Est. « Nous cherchons toujours ce qui est moins cher donc naturellement nous venons en Chine, explique un homme d’affaires Malien. Ici, on trouve tout ce que l’on veut et les prix sont raisonnables. »

Commandé, payé, livré. Au total, il ne s’écoule pas plus de trente jours entre la commande passée à Yiwu et la livraison sur un marché de Nouakchott ou de Mombasa. « Mais attention à la qualité », prévient Isabelle Hannouche, une jeune Sénégalaise à la tête de Teranga Trade, une société d’import-export basée à Shanghai. Pour ses clients, elle piste les meilleurs prix et surtout s’assure de la qualité des marchandises.

« Yiwu plaît beaucoup car les prix y sont souvent très bas. Mais il faut sans cesse s’assurer de l’état des produits, regrette-t-elle. Les grandes centrales d’achats africaines n’hésitent plus à se fournir directement en Chine mais elles ont besoin de nous pour négocier en direct avec les usines, obtenir les meilleurs prix et surtout surveiller la qualité des marchandises. »

« Nouvelle route de la soie »

« Moi j’achète ici des montres à 25 yuans (4 euros), fait savoir un jeune commerçant égyptien qui se rend deux fois par an à Yiwu. Je les revends au Caire 27 yuans. La marge est faible mais je remplis un conteneur entier de montres alors forcément j’arrive à faire un profit suffisant. »

La ville a également profité de l’après-11-Septembre. « Quand les commerçants arabes ont commencé à avoir des difficultés à voyager en Europe et aux Etats-Unis, ils se sont tournés vers la Chine, souligne Ye Ping qui publie un journal pour la communauté musulmane de Yiwu. Où puis-je faire des affaires sans aller aux Etats-Unis, se sont-ils demandé ? La réponse est ici. »

La ville est d’ailleurs devenue le point de départ de la « nouvelle route de la soie » qui relie la Chine au reste du monde. Il y a deux mille ans, les caravanes partaient de Xian, en Chine, pour le Proche-Orient. Aujourd’hui, ce sont des conteneurs remplis d’électronique bon marché et de sandales en plastique qui prennent la mer au départ de Yiwu. Direction l’Afrique.

Sébastien Le Belzic est installé en Chine depuis 2007. Il dirige le site Chinafrica. info, un magazine sur la « Chinafrique » et les économies émergentes.