El Niño : « On assiste à l’un des phénomènes les plus forts observés depuis cinquante ans »
El Niño : « On assiste à l’un des phénomènes les plus forts observés depuis cinquante ans »
Par Simon Roger
Pour le climatologue Eric Guilyardi, la sécheresse et les fortes températures qui contribuent aux feux de forêts ravageant l’Alberta trouvent leur cause dans ce phénomène très actif.
Un incendie massif fait rage au sud de Fort McMurray, en Alberta, le 4 mai. | HANDOUT / REUTERS
Pour le climatologue Eric Guilyardi (LOCEAN/CNRS, université de Reading au Royaume-Uni), la sécheresse et les fortes températures qui contribuent aux feux de forêts ravageant l’Alberta, au Canada, trouvent leur cause dans le phénomène El Niño, très actif à cette saison.
Le phénomène El Niño, qui se forme dans le Pacifique, peut-il produire des effets jusqu’au Nord du continent nord-américain, où se trouve l’Alberta ?
El Niño est une anomalie du système océan-atmosphère dans le Pacifique, qui survient tous les trois à sept ans. Il se traduit par une perturbation du cycle météorologique normal, qui pousse les eaux chaudes vers les côtes de l’Equateur et du Pérou et provoque un renversement des alizés. Le Pacifique tropical couvre un quart de la surface de la planète. Lorsque l’on modifie les zones de vent et de pression à cette échelle, les répercussions se font sentir sur l’ensemble du globe et en particulier aux moyennes latitudes et en Amérique du Nord.
Quand El Niño arrive, il produit des impacts sur tous les autres bassins, ce qui explique qu’on ait aussi en ce moment des épisodes très forts de sécheresse en Afrique de l’Est ou en Indonésie. Dans l’ensemble formé par les Etats-Unis et le Canada, El Niño va déplacer les précipitations vers le sud – la Californie a enregistré par exemple de fortes précipitations cette année – en revanche les régions du nord-ouest, comme celle de l’Alberta, vont recevoir moins de pluie. L’autre impact d’El Niño, mais cette fois dans l’est de l’Amérique du nord, ce sont des hivers bien plus rudes là encore parce que les arrivées d’air sec et froid du nord sont facilitées.
El Niño est particulièrement intense depuis l’hiver 2015. Comment cela s’explique-t-il ?
Le phénomène El Niño dure environ un an, de printemps à printemps, avec une intensité maximale en hiver. L’année 2015-2016 est en effet l’un des événements les plus forts observés depuis cinquante ans. El Niño est d’une intensité équivalente aux épisodes de 1982-1983 et de 1997-1998, qui avaient été particulièrement forts. Un nombre significatif d’études démontre que lorsque des coups de vent d’ouest interviennent dans la zone Pacifique en mars et se répètent tout au long du printemps et de l’été, le système produit un phénomène El Niño extrême.
Au printemps 2014, les conditions de chaleur dans l’ouest du Pacifique étaient remplies pour aboutir à un tel scénario, mais les coups de vent ne s’étaient pas enchaînés ensuite. En mars 2015, les conditions de chaleur étaient identiques mais cette fois, la nature s’est illustrée par une succession de coups de vent d’ouest, favorable à un épisode El Niño intense.
L’intensité de ce phénomène météorologique va-t-elle en s’accentuant ?
Depuis quelques dizaines d’années d’observation, on réalise que les phénomènes El Niño sont tous différents. Considérant que cet événement se produit tous les trois à sept ans, il faut de très longues séries de mesures pour détecter un changement. Mais on a tout de même pu démontrer, dans une étude publiée il y a deux ans, que dans le scénario du « laisser faire », celui qui nous emmène vers 5 °C de réchauffement global, un doublement de la fréquence des El Niño extrêmes était à prévoir à partir de 2050. En revanche, dans le scénario où l’on met en place les stratégies climatiques pour rester sous le seuil de 2 °C de réchauffement, la proportion statistique d’El Niño extrême reste la même.
Comment contrer les effets d’El Niño ?
On ne peut pas arrêter El Niño, par contre, on peut l’anticiper le plus possible et s’organiser en conséquence. Le Pérou, par exemple, est en état d’alerte depuis l’été 2015. Dans certains pays d’Afrique de l’Est, des systèmes d’alerte se mettent en place pour faire face à une augmentation du risque d’impact d’El Niño. S’il n’est pas possible de prévoir un tremblement de terre, nous sommes capables de prévoir El Niño six à neuf mois à l’avance suivant les régions. De systèmes de prévisions saisonnières à partir de modèles océan-atmosphère sont suffisamment fiables pour aider à la gestion de risque.
La situation que traverse l’Alberta aujourd’hui était donc prévisible…
Oui. Dès le mois de mai 2015, nous pouvions affirmer que la probabilité pour que cette région soit plus sèche que la normale était élevée. La situation de sécheresse qui a entraîné les autorités provinciales à décréter l’état de « désastre agricole » s’explique en partie par El Niño, mais aussi par l’histoire des précipitations décennales de cette région. Comme en Californie, qui fait face à la sécheresse depuis quatre ans, l’Alberta est confronté à un profond manque d’eau.
Peut-on s’attendre à une baisse d’intensité d’El Niño dans les semaines à venir ?
Le phénomène 2015-2016 se termine. Dans le Pacifique, on n’enregistre presque plus d’anomalie de température de la surface de l’eau, puisque c’est ce paramètre qui permet de mesurer El Niño : la hausse est de l’ordre de 0,5 °C seulement, alors qu’elle était de 3 °C en décembre. Mais les impacts hors de la zone Pacifique peuvent durer plus longtemps puisque le système a de l’inertie.