En Israël, la droite porte la bataille contre les ONG sur le terrain judiciaire
En Israël, la droite porte la bataille contre les ONG sur le terrain judiciaire
Par Piotr Smolar (Jérusalem, correspondant)
Le parquet général exige que l’organisation Rompre le silence révèle l’identité des soldats qui ont témoigné dans le cadre d’une enquête sur les abus commis lors la guerre de Gaza à l’été 2014.
Un rendez-vous judiciaire majeur attend l’une des plus importantes organisations non gouvernementales israéliennes. Appelée Rompre le silence, cette ONG, qui regroupe des vétérans de l’armée, est poursuivie par le parquet général, qui souhaite qu’elle révèle l’identité de soldats qui ont accepté de témoigner auprès de ses enquêteurs. Les autorités exigent la communication de toutes les informations, officiellement pour conduire leurs propres investigations.
L’audience en première instance se tiendra dimanche 22 mai à Petah Tikva, comme le confirme le journal Haaretz mercredi. Si la justice donnait raison au parquet, elle porterait un coup terrible à l’ONG, dissuadant les futurs témoignages.
Dès sa création en 2004, Rompre le Silence a été dans un rapport de confrontation et de tension avec les autorités. L’ONG avait organisé une exposition à Tel-Aviv sur l’expérience des soldats en territoires occupés, qui avait été ciblée par une perquisition. Par la suite, un modus vivendi avait été trouvé avec le parquet militaire.
Puis le pouvoir exécutif qui a pris le relais, en matière de pressions. En 2009, dans les mois qui ont suivi l’opération « Plomb durci » dans la bande de Gaza et le retour au pouvoir de Benyamin Nétanyahou, le gouvernement israélien avait soulevé la question du financement de certaines ONG dites « politiques » par des pays étrangers.
Ron Dermer, alors en charge de la stratégie politique au cabinet du premier ministre, avait qualifié ces financements d’« inacceptables » et estimé que ces ONG œuvraient à « délégitimer » Israël. Il est aujourd’hui ambassadeur à Washington.
Grande rigueur
L’affrontement a pris une ampleur inédite dans les mois qui ont suivi la publication du dernier rapport de Rompre le Silence, au printemps 2015, consacré à la guerre de Gaza à l’été 2014. Ce document, accablant, mettait en cause la doctrine militaire même et les règles d’engagement, et non de simples abus individuels. Sur une trentaine d’enquêtes ouvertes après la guerre par le parquet général militaire, huit ont été inspirées par le rapport.
C’est avec une grande rigueur que le département « recherche » de l’ONG conduit de très longs entretiens avec les témoins, les confronte à leurs imprécisions, en écarte beaucoup. Puis Rompre le Silence soumet les témoignages qu’elle souhaite utiliser, expurgés de certains détails, à la censure militaire. Tout ce qui figure dans ses rapports a donc été auparavant révisé.
Depuis la fin de 2015, une offensive sans précédent a été déclenchée par la droite nationaliste religieuse israélienne contre plusieurs ONG dites de gauche. Leur point commun : elles défendent les droits égaux pour tous les citoyens, juifs ou arabes, ainsi que ceux des Palestiniens soumis à l’occupation. Elles documentent aussi, comme Rompre le Silence, les abus commis par l’armée.
La droite radicale a décidé de les cibler comme des « agents de l’étranger », des « taupes », qui agiraient contre les intérêts de l’Etat. Rompre le Silence est en première ligne. Les locaux de l’ONG ont été visés une fois ; depuis, ils sont gardés. Les cadres de l’organisation sont personnellement menacés. La base de données est soumise à des attaques informatiques constantes. L’organisation a aussi été infiltrée par des faux témoins, envoyés par un groupuscule de droite.