Le dernier empereur
Le dernier empereur
M le magazine du Monde
Entre démesure et réflexions philosophiques, l’artiste sino-français Huang Yong Ping investit le Grand Palais.
Huang Yong Ping devant son oeuvre, au Grand Palais | JACKY NAEGELEN / REUTERS
La silhouette frêle de Huang Yong Ping ne trahit guère son penchant pour le monumental. L’artiste sino-français, qui orchestre jusqu’au 18 juin sa Monumenta au Grand Palais, à Paris, n’aime pas les petits objets et autres colifichets. Son échelle est celle du réel. Démesurée, forcément. Spectaculaire, fatalement. Mais pas boursouflée pour autant. Ses installations ne sont pas de vaniteuses démonstrations de force, elles se veulent des fables philosophiques, matières à réflexion sur l’état du monde.
Un pont entre Orient et Occident
Arrivé à Paris pour participer à l’exposition « Magiciens de la Terre » au Centre Pompidou en 1989, Huang Yong Ping s’est vu contraint d’y rester après les événements de la place Tiananmen. « J’avais en tout et pour tout deux valises, raconte-t-il. Je pensais rester un mois. » Au bout d’un an, il fera venir son épouse, l’artiste Shen Yuan. Le couple vit depuis à Ivry-sur-Seine, où les a rejoints une petite communauté d’exilés chinois.
L’univers de Huang Yong Ping emprunte aussi bien à la Chine, où il avait fondé le mouvement Xiamen Dada, qu’à la France, où il a posé ses bagages. Inspirée de récits mythiques et pétrie de French Theory, son œuvre jette un pont entre Orient et Occident, joue de nos fascinations et de nos peurs. Qu’il imagine une arche de Noé, la fin du monde ou une réplique d’un avion espion américain, Huang Yong Ping travaille grandeur nature. « Il ne représente pas, il présente », résume Jean de Loisy, commissaire de Monumenta et président du Palais de Tokyo. Les proportions du Grand Palais ne l’intimident guère. Avec un brin d’irrévérence, il a transformé le fleuron de la révolution industrielle en paysage post-industriel.
Le visiteur est, d’entrée de jeu, confronté à une falaise de conteneurs colorés surmontée du squelette d’un serpent métallique de 250 mètres de longueur. Plus loin, un bicorne se réfère à l’Empire napoléonien et, par extension, à d’autres impérialismes, politique ou économique. Chez Huang Yong Ping, tout est ambivalent. Le serpent est à la fois menaçant et résilient.
Huang Yong Ping fait du Grand Palais son « Empires »
La figure napoléonienne est à double tranchant. « J’aime quand il y a de la complexité, insiste l’artiste. Staline ou Hitler, on sait quoi en penser. Napoléon est plus controversé.
Il a fait la guerre, mais a aussi changé le monde. » Avant de passer son tour. Le couvre-chef sans tête vient rappeler que la chefferie n’a qu’un temps.
La noria des leaders, le capitalisme effréné qui a gagné la Chine, les violences de la mondialisation, Huang Yong Ping les observe en maître Yoda, avec juste ce qu’il faut de lucidité et de hauteur. « Je ne porte pas de jugement critique ou moral. Rien n’est mauvais ni bon. C’est une réalité, il faut faire avec, déclare-t-il, placide. Une mutation, c’est toujours passionnant. » Lui-même a l’âme d’un mutant. Quand on lui demande s’il se voit vivre à nouveau en Chine, il sourit : « Je n’ai ni projet ni idée pour l’avenir, je suis le mouvement, je m’adapte. Je suis comme le serpent, dont on ne sait jamais quel chemin il va prendre. »
« Empires » de Huang Yong Ping, Grand Palais, 3, av. du Général-Eisenhower, Paris 8e jusqu’au 18 juin. www.grandpalais.fr