Les applications pour espionner ses proches via leur smartphone sont-elles illégales ?
Les applications pour espionner ses proches via leur smartphone sont-elles illégales ?
Par Morgane Tual
Un organisme du Congrès américain a examiné une quarantaine d’applications qui permettent d’intercepter les communications d’un conjoint, d’un employé ou d’un enfant.
Le Government Accountability Office, organisme du Congrès américain, a examiné une quarantaine d’applications servant à espionner des téléphones. | Rich Pedroncelli / AP
La justice américaine est-elle trop laxiste envers les applications servant à espionner ses proches ? C’est la question que pose le Government Accountability Office (GAO), un organisme du Congrès américain, dans un rapport publié lundi 9 mai concernant ces applications permettant de pister le téléphone d’un enfant, d’un employé, d’un conjoint ou de n’importe quel proche.
Ces outils, qui s’installent manuellement sur le téléphone de la personne visée, permettent de récupérer un grand nombre d’informations. Ainsi, selon l’application utilisée, il est possible d’intercepter e-mails, textos et appels téléphoniques, de connaître la position géographique de l’appareil, d’accéder à l’historique de navigation Web, aux photos et aux messages envoyés sur les réseaux sociaux. Le GAO, qui en a examiné une quarantaine, relève même pour certaines la possibilité d’activer le micro du téléphone à distance, afin d’écouter l’environnement sonore de l’appareil.
Une véritable panoplie d’espionnage, présentée par la plupart des éditeurs de ces applications comme un simple moyen de rassurer les parents, qui peuvent vérifier, grâce à la géolocalisation, que leurs enfants sont bien rentrés à la maison. Certains n’hésitent toutefois pas à encourager les parents à installer l’application en secret : « Installez le logiciel sur le téléphone de vos enfants et vous pourrez discrètement découvrir la vérité sur leurs appels, leurs textos et leur géolocalisation », indique ainsi l’un d’entre eux. Certaines sont aussi présentées comme des outils permettant de suivre un proche atteint de la maladie d’Alzheimer.
« Si votre partenaire vous trompe »
Près de la moitié de ces applications s’adressent aussi aux patrons : « en tant qu’employeur, vous voulez surveiller tous les téléphones appartenant à l’entreprise et vous assurer qu’ils ne sont bien utilisés. Cela fonctionne de façon totalement invisible et n’apparaîtra jamais sur le téléphone surveillé », explique une autre.
Enfin, un quart des éditeurs examinés ne cherchent pas à dissimuler ou minimiser la raison pour laquelle de nombreux utilisateurs se tournent vers ce type d’outil :
« Si votre partenaire vous trompe et que vous voulez l’attraper la main dans le sac, alors notre application peut faire ça pour vous, sans que votre partenaire ne sache quoi que ce soit de cet espionnage. »
Plusieurs associations consultées par le GAO, consacrées à la défense des libertés numériques, aux questions de vie privée ou à la lutte contre les violences conjugales ont exprimé leurs inquiétudes vis-à-vis de ces applications, et souligné le manque de réponse judiciaire, qui semble laisser libre court à ces outils et leurs utilisateurs.
Des condamnations rarissimes
Pourtant, la loi fédérale américaine interdit la création et la possession d’outils permettant d’intercepter secrètement des communications. Mais selon le GAO, ce texte n’a jusqu’ici mené qu’à deux poursuites en justice. En 2014, un homme a ainsi été condamné à une amende de 500 000 dollars pour avoir vendu l’application StealthGenie. L’année suivante, une Américaine a été condamnée à trois ans de prison avec sursis pour avoir utilisé ce type d’application sur le téléphone de son ancien époux, officier de police.
Plusieurs associations ont aussi pointé les différences entre les lois propres à chaque Etat et souligné que si l’interception du contenu de communications était clairement interdit par la loi, la question des données de géolocalisation restait quant à elle bien plus floue. Or, comme le précise le GAO dans son rapport, ces données « peuvent être hautement personnelles et fournir des informations sur le lieu où vit une personne, où elle va à l’école ou à l’église, si une personne s’est rendue dans un bar, chez un psychiatre, un avocat ou un ancien petit ami. »
Des conditions d’utilisation hypocrites
Pour se protéger, certaines de ces applications indiquent dans leurs conditions d’utilisation qu’elles ne doivent pas être utilisées pour surveiller quelqu’un sans son consentement... Tout en indiquant l’inverse sur leur site Internet. Le GAO donne ainsi l’exemple d’une application, qui indique sur son site Web :
« Une des meilleures façons de savoir si votre partenaire vous trompe est simplement d’accéder à son téléphone. (...) Comment suivre l’activité d’un téléphone sans devoir y accéder physiquement à intervalles réguliers ? Installez cette application. Elle vous fournira toutes les informations dont vous avez besoin pour découvrir la vérité sur l’adultère que vous soupçonnez. »
Mais les conditions d’utilisation de la même application fournissent un tout autre discours :
« Notre produit est conçu pour surveiller vos enfants ou employés sur un smartphone vous appartenant, ou qu’on vous a autorisé à surveiller (dans le respect de la loi), et vous devez informer toute personne qui utilise un appareil sur lequel le logiciel est installé que son activité peut être surveillée. Vous ne devez JAMAIS tenter d’espionner un téléphone qui ne vous appartient pas, surveiller votre conjoint ou d’autres personnes (...) sans le consentement de ces personnes. »
Le GAO s’est toutefois abstenu d’émettre la moindre recommandation à l’issue de ce rapport, se contenant de relayer les suggestions des associations, qui prônent un meilleur encadrement par la loi et une information des utilisateurs sur l’existence de ce type d’outils, et de la façon de s’en protéger. En France, l’utilisation de ce type d’application à l’insu du propriétaire du téléphone est illégale. Selon le code pénal, l’enregistrement des paroles sans le consentement, tout comme la violation du secret de la correspondance, sont punis d’une peine d’un an de prison et d’une amende de 45 000 euros.