Depuis la tentative – et l’échec – du dépôt par des députés de gauche d’une motion de censure du gouvernement le 11 mai, les appels à sanction à l’encontre des vingt-quatre socialistes « frondeurs » pleuvent du côté légitimiste du parti. Ainsi, Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’Etat chargé des relations avec le Parlement, a souligné « l’incohérence » qu’il y a à critiquer « matin, midi et soir » l’action du gouvernement, « tout en restant au Parti socialiste ».

Manuel Valls, le premier ministre, qui a recouru à l’article 49, aliéna 3 de la Constitution pour faire adopter, sans vote, le très controversé projet de réforme du code du travail, a, lui, qualifié leur démarche de « grave » et « aventureuse », mais a noté qu’elle présentait un « intérêt : celui d’une clarification entre ceux qui s’arc-boutent sur le passé et ceux qui voient l’avenir. »

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A quelles sanctions s’exposent les députés frondeurs ? Quelle est leur marge de manœuvre au sein du Parti socialiste ? Quelles sont les perspectives du PS d’ici aux élections de 2017 ?

Les différences d’opinion sont-elles interdites au PS ?

Trois documents organisent le fonctionnement du PS : les statuts du parti, la charte éthique et la charte des socialistes pour le progrès humain, qui constitue les valeurs fédératrices de l’ensemble des militants. Les socialistes sont tenus de les respecter.

La charte éthique précise que « les militants disposent de la liberté d’expression, et peuvent ainsi librement exprimer leurs opinions et prises de position dans les réunions organisées par le Parti socialiste ».

Mais dans les statuts du parti, un article du règlement intérieur relatif à la loyauté au Parti dispose :

« Les membres du parti qui soutiendraient dans les médias des opinions contraires aux décisions du parti ou y engageraient une polémique contre un autre membre du parti relèvent pour de tels actes du contrôle du conseil national ou du bureau national. Le conseil national ou le bureau national apprécie s’il convient de déférer l’intéressé devant la commission nationale des conflits. Le bureau national est qualifié pour publier, entre les réunions du conseil national, les mises au point nécessaires. »

Selon un autre article, « la liberté de discussion est entière au sein du parti, mais nulle tendance organisée ne saurait y être tolérée. Les débats au sein du parti doivent s’inscrire dans le respect des dispositions de l’article ».

Les frondeurs risquent-ils des sanctions ?

A ce stade, Bruno Le Roux, le président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, a refusé de se prononcer sur des sanctions à l’encontre de ces socialistes « censeurs ». Le 12 mai, Jean-Christophe Cambadélis, le premier secrétaire du PS, a annoncé avoir saisi la haute autorité éthique du parti. L’organe est invité à se pencher « sur le cas des vingt-quatre députés socialistes qui ont proposé de renverser leur gouvernement ».

Cette haute autorité éthique est chargée de formuler des avis et peut renvoyer l’auteur de la saisine à d’autres instances de règlement des différends. Dans le cas des frondeurs, il pourrait s’agir de la commission nationale des conflits du parti, qui doit respecter une certaine procédure (audition du député mis en faute, de sa fédération, du président du groupe à l’Assemblée). L’autorité éthique peut aussi rejeter la saisine, ou, à la demande des parties, désigner un arbitre pour statuer.

Les sanctions encourues sont :

  • l’avertissement,
  • le blâme,
  • la suspension temporaire,
  • l’exclusion temporaire ou définitive,
  • une peine annexe de suspension temporaire de délégation. Dans ce cas, l’adhérent est interdit d’être candidat du parti, de le représenter, de parler ou d’écrire en son nom ou d’occuper un poste à quelque degré de l’organisation que ce soit. Si un élu est concerné, la commission peut lui permettre d’achever son mandat.

Un membre du parti sanctionné a le droit de faire appel et peut éventuellement être réintégré.

Les frondeurs vont-ils quitter le PS ?

C’est ce à quoi les a invités Stéphane Le Foll, le porte-parole du gouvernement. Pour lui, si ces députés « s’en vont, ce serait la logique. On ne peut pas toujours contester le PS et le gouvernement et en même temps être dans cette situation où lorsqu’on se présente, on se présente avec une étiquette ».

Certains frondeurs ont déjà mis un pied dehors en quittant le groupe socialiste à l’Assemblée nationale. Il s’agit notamment du député de La Réunion Patrick Lebreton, qui n’a toutefois pas signé le projet de motion de censure de gauche. Dans un billet publié le 11 mai sur sa page Facebook, il s’est expliqué en disant de ne pas vouloir « cautionner les dérives de ce gouvernement et du PS ».

Les députés Philippe Noguès et Pouria Amirshahi, qui ont voté pour la motion de censure de droite jeudi, avaient, quant à eux, quitté le parti il y a plus longtemps : Philippe Noguès en juin 2015 et Pouria Amirshahi le 4 mars, comme il l’expliquait dans un entretien au Monde.

Laurent Baumel, une des figures des frondeurs, a exclu de quitter le PS : « Le Parti socialiste, ce n’est pas le parti qui appartient personnellement à François Hollande ou à Manuel Valls. Moi, quand je défends les positions qui sont les miennes sur la question de la réforme du travail, j’ai l’impression de défendre plutôt les positions naturelles du Parti socialiste », a-t-il argué sur BFM-TV.

Quelle stratégie pour 2017 et après ?

Dans une tribune publiée dans Le Monde, Gérard Grunberg, politologue et directeur de recherche au Centre d’études européennes de Sciences Po, dessine deux options pour les frondeurs. La première, peu crédible selon lui, est celle d’une « recomposition partisane de la gauche après la défaite probable de 2017 ». Il s’agirait de créer une nouvelle formation, alliant « communistes, Verts, mélenchonistes et frondeurs socialistes » pour faire « une sorte de Podemos à la française ».

La seconde consiste à se positionner dans la bataille du prochain congrès, pour s’emparer de la direction du parti, et exiger « la marginalisation de Manuel Valls » et le départ de M. Cambadélis.

Ce scénario est envisagé par certains socialistes légitimistes, qui accusent les frondeurs de parier sur la défaite de M. Hollande à l’élection présidentielle de 2017. « Le débat qui suit est celui de la primaire », a déclaré, le 11 mai sur BFM-TV, l’ancien ministre de l’éducation nationale Benoît Hamon, qui ne s’interdit pas d’y participer si elle devait avoir lieu.

L’ancien ministre de l’économie Arnaud Montebourg, devenu entrepreneur après son départ du gouvernement en 2014, pourrait également faire un pas de plus vers une candidature, lundi 16 mai, lors de son ascension du mont Beuvray, accompagné d’une poignée de députés, dont les frondeurs M. Baumel et Christian Paul.

Interrogé le 8 mai sur le plateau de France 2, M. Montebourg a assuré que « s’il y a des responsabilités à prendre » en vue des échéances électorales de 2017, il les prendrait, même si « le moment n’est pas venu ».