Ségolène Royal peut-elle faire barrage au gaz de schiste américain ?
Ségolène Royal peut-elle faire barrage au gaz de schiste américain ?
Par Pierre Le Hir
La ministre veut interdire l’importation en France d’hydrocarbures non conventionnels. Juridiquement comme techniquement, elle a peu de chances d’y parvenir.
Manifestations contre le gaz de schiste près de Jouarre, en Seine-et-Marne, le 3 août 2013. | PIERRE ANDRIEU/AFP
Certains y verront une position vertueuse ; d’autres une posture démagogique. C’est en tout cas dans un combat avant tout symbolique que se lance la ministre de l’environnement et de l’énergie, Ségolène Royal, en s’attaquant aux importations de gaz de schiste. Tant sur le plan juridique que technique, la cause semble en effet perdue d’avance.
« Je vais examiner juridiquement la façon dont nous pouvons interdire l’importation de gaz de schiste », a répondu Mme Royal, mardi 10 mai, à une question de la députée écologiste Cécile Duflot. Celle-ci l’interpellait sur des contrats passés par Engie (ex-GDF-Suez) et EDF avec l’entreprise américaine Cheniere en vue de la fourniture de gaz naturel liquéfié (GNL) produit aux Etats-Unis et issu en partie de gisements de gaz de schiste. « On ne peut pas interdire le gaz de schiste sur le territoire français pour des raisons environnementales graves et en même temps accepter l’importation », avait dit quelques jours plus tôt la ministre.
En octobre 2015, Engie annonçait la signature d’un accord avec la société Cheniere. Il prévoit que le groupe français achètera « jusqu’à douze cargaisons de GNL par an », soit un maximum de 800 000 tonnes par an, livrées à son terminal de Montoir-de-Bretagne (Loire-Atlantique). « L’importation de GNL américain participera au renforcement de la sécurité d’approvisionnement en Europe, explique Engie. En outre, dans le contexte de la transition énergétique, le gaz naturel est le partenaire idéal pour les énergies renouvelables, dans la mesure où il est flexible et abondant. »
Pour le premier importateur européen de GNL, dont le gaz provient principalement de Russie, de Norvège, d’Algérie et des Pays-Bas, le contrat américain ne représente qu’une goutte d’eau : moins de 1 % de ses approvisionnements.
La France a banni la fracturation hydraulique
De son côté, EDF, dont le cœur de métier est l’électricité, mais qui est aussi un fournisseur de gaz (brûlé aussi dans ses centrales thermiques à hauteur de 9 % du mix électrique), a conclu avec Cheniere, en juillet 2014, un premier contrat d’approvisionnement de long terme. Il prévoit la livraison de 770 000 tonnes de GNL par an, sur une durée de vingt ans, à compter de la mise en service du terminal de liquéfaction de Corpus Christi (Texas), prévue « au plus tôt en 2019 », précise le document de référence 2014 de l’entreprise publique.
En 2015, un deuxième contrat, de court terme, a été passé avec le même fournisseur. Courant jusqu’à 2018, il porte sur la fourniture de 230 000 tonnes de GNL. Ces deux contrats représentent, au total, moins de 10 % de l’approvisionnement en gaz de l’électricien, l’essentiel provenant du Qatar, de Russie, de mer du Nord et d’Afrique du Nord. Les cargaisons devraient être livrées au terminal méthanier, en cours de construction à Dunkerque (Nord). Le site, dans lequel l’entreprise EDF est associée au pétrolier français Total et au groupe belge Flexy, pour un coût de un milliard d’euros, doit être opérationnel à la fin de juin. Il offrira une capacité de stockage de treize milliards de mètres cubes de gaz, dont huit milliards pour les besoins d’EDF.
Même si les volumes en jeu sont limités, Mme Royal en fait une affaire de principe et de cohérence. Car, en France, la loi du 13 juillet 2011 a banni la fracturation hydraulique, seule technique aujourd’hui disponible pour extraire les hydrocarbures non conventionnels (huiles et gaz de schiste) de la roche-mère. Cela, en raison de l’impact environnemental de ce procédé, qui met en œuvre des additifs chimiques toxiques et nécessite de très gros volumes d’eau. « Il n’y aura plus de permis pour rechercher les gaz de schiste, et le nouveau code minier, qui est en cours de réforme, intègrera cette interdiction », signifiait encore la ministre en février. Dès lors, il peut sembler logique de ne pas acheter à un autre pays des hydrocarbures dont l’extraction s’accompagne de nuisances refusées en France.
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La commercialisation n’est pas interdite
On voit mal, pourtant, comment Mme Royal pourrait parvenir à ses fins. D’abord d’un point de vue juridique. « La loi de 2011 interdit la fracturation hydraulique en France, mais pas la commercialisation de produits obtenus au moyen de cette technique », observe Sébastien Mabile, avocat spécialisé en droit de l’environnement et expert pour la Fondation Nicolas-Hulot. En outre, ajoute-t-il, « s’opposer à l’importation de ces hydrocarbures se heurte aux règles de libre circulation des marchandises de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), pour laquelle, malheureusement, les considérations environnementales passent au second plan ». A ses yeux, « l’initiative de la ministre est bonne, mais elle s’annonce très compliquée ».
Un avis partagé par Arnaud Gossement, avocat en droit de l’environnement lui aussi : « Pour justifier une interdiction d’importation, il faudrait montrer qu’elle entraîne des risques sanitaires ou environnementaux sérieux sur le territoire français, comme cela a été le cas pour la viande aux hormones ou la “vache folle”. Or, s’agissant du gaz de schiste, le risque est pour le pays producteur, pas pour le pays importateur. » Selon lui, il faudrait porter le dossier au niveau européen et « modifier le droit communautaire », ce qui, poursuit-il, n’est pas d’actualité sur ce sujet.
Obstacle technique
Mais l’obstacle n’est pas seulement juridique. Il est aussi technique. Une fois extrait de la roche-mère, le gaz de schiste est en effet du gaz naturel, ou méthane, semblable au gaz issu de gisements conventionnels. Les citernes des méthaniers sont ainsi remplies de gaz naturel liquéfié, dont rien n’indique l’origine géologique. Les navires qui achemineront le GNL commandé par Engie et EDF seront chargés d’une cargaison dont la proportion de gaz d’origine schisteuse est estimée entre 40 % et 50 %. Faute de pouvoir faire le tri, la seule parade serait de mettre fin à toute importation de gaz américain. Une hypothèse irréaliste.
Ce n’est pas tout. Conventionnel ou non, le gaz circule entre pays. Or, de premières cargaisons de GNL américain sont déjà arrivées en Europe ces derniers mois, en Norvège à la fin de mars et au Portugal à la fin d’avril. Et le mouvement devrait s’accélérer, poussé par l’excédent de production américaine de gaz de schiste et le repli du marché asiatique. A elle seule, la France ne peut donc faire barrage au gaz de schiste venu d’outre-Atlantique.
Reste à l’exécutif, dans le cas précis des contrats d’Engie et d’EDF, un moyen d’action. L’Etat, actionnaire de la première société à hauteur de 33 %, et de la seconde à hauteur de 85 %, peut intervenir pour que de tels accords commerciaux ne soient pas renouvelés. Dans un courrier adressé, mercredi 11 mai, à la directrice générale d’Engie, Isabelle Kocher, et au président d’EDF, Jean-Bernard Levy, Mme Royal souligne que « la France doit montrer l’exemple » dans la lutte contre le changement climatique et qu’à ce titre les deux énergéticiens ont « un devoir particulier pour porter cette politique volontariste ».
« Pour l’avenir, poursuit la ministre, je vous demande de renoncer à toute signature de contrat d’importation de gaz qui porterait préjudice à la politique énergétique conduite par la France, et de vérifier l’origine et le mode de production de gaz importé pour que celui-ci soit exclusivement issu de sources conventionnelles. » Une prescription que les deux industriels ont choisi de ne pas commenter.