A Lusaka, la Banque africaine de développement pense l’électrification du continent
A Lusaka, la Banque africaine de développement pense l’électrification du continent
Par Raoul Mbog (Lusaka, envoyé spécial)
Les 52es Assemblées annuelles de l’institution bancaire panafricaine se sont ouvertes dans la capitale zambienne.
Presque personne n’a l’air de faire attention aux deux gros générateurs installés tout près du bâtiment principal du Centre international de conférences de Mulungushi, à Lusaka. Ce sont pourtant ces deux engins puissants, fortement consommateurs de fuel, qui ont permis l’ouverture officielle, mardi 24 mai, des 52es Assemblées annuelles de la Banque africaine de développement (BAD). La capitale zambienne subit depuis plusieurs semaines un rationnement de l’électricité avec des coupures pouvant durer jusqu’à huit heures par jour dans certains quartiers.
Au Centre de Mulungushi, les deux générateurs électriques sont donc censés éviter aux quelque 5 000 délégués de se retrouver dans le noir pendant leurs débats jusqu’au 27 mai. Déjà mardi matin, malgré la lumière du jour, tous les projecteurs étaient allumés. Sur la scène du grand auditorium, majestueusement installés, plusieurs chefs d’Etat : le Rwandais Paul Kagame, le Tchadien Idriss Déby, le Kényan Uhuru Kenyatta et, bien sûr, le Zambien Edgar Lungu. A leurs côtés, rayonnant comme un astre neuf, Akinwumi Adesina, l’ancien ministre de l’agriculture du Nigeria, élu il y a tout juste un an à la présidence de la banque. Le sourire de l’homme semble traduire sa joie de se retrouver pour la première fois en maître de cérémonie de la réunion annuelle de la BAD, une institution dont l’ambition est d’éliminer la pauvreté en Afrique.
Energie et lutte contre le changement climatique
Cette année, le thème choisi pour nourrir les travaux est l’accès à l’énergie et la lutte contre le changement climatique. Il s’agit de l’une des cinq priorités fixées par M. Adesina au début de son mandat : éclairer l’Afrique et l’alimenter en énergie. Un pari fou dans un continent où les urgences sont multiples : 620 millions d’Africains, soit les deux tiers de la population, sont privés d’électricité, souvent en zone rurale. De l’avis de plusieurs experts, ce déficit énergétique est un frein considérable à la croissance du continent.
« Nous ne pourrons jamais transformer l’Afrique sans transformer son approvisionnement en énergie. L’énergie est comme le sang dans le corps : elle doit couler partout. L’Afrique n’en peut plus de vivre dans le noir », a plaidé le président de la BAD dans son allocution d’ouverture. L’institution entend se positionner comme le leader en matière de financement des énergies renouvelables et d’électrification de l’Afrique, en y redéployant une bonne partie de 6 milliards d’euros qu’elle investit annuellement dans des projets de développement.
L’énergie doit couler « comme le sang dans le corps ». Pour la Zambie, qui accueille les assises, la question tombe fort à propos. Le déficit énergétique de ce pays de 13 millions d’habitants est estimé à 560 mégawatts (MW). Les dérèglements climatiques ont provoqué un assèchement du lac artificiel de Kariba – une grande retenue d’eau construite en aval des chutes Victoria – qui constitue une source majeure de production électrique pour la Zambie et le Zimbabwe. Le tout sur fond de crise économique : un chômage massif et un taux de croissance pour 2016 à 3,7 %, modeste comparé à celui de ses voisins d’Afrique australe.
L’OCDE est optimiste
Pourtant, malgré ces turbulences, les perspectives ne sont pas sombres pour le continent, selon l’Organisation de coopération et développement économique (OCDE). Dans son rapport annuel sur les perspectives économiques en Afrique réalisé en partenariat avec la BAD et le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), dévoilé lundi à Lusaka, l’OCDE soutient que la croissance moyenne du continent, aujourd’hui à 3,7 %, devrait se redresser autour de 4,5 % en 2017.
Deux des raisons à cet optimiste relatif sont l’urbanisation galopante et la croissance démographique. « A condition d’être encadrée par des politiques publiques appropriées, l’urbanisation peut contribuer à la transformation économique par la hausse de la production agricole, l’industrialisation et l’essor de la classe moyenne », a souligné Mario Pezzini, le directeur du Centre de développement de l’OCDE, en présentant le rapport intitulé « Villes durables et transformation structurelle ».
Pour y arriver, l’OCDE recommande aux gouvernements d’investir massivement dans les infrastructures urbaines, d’améliorer la connectivité avec les zones rurales et de promouvoir des emplois durables pour les jeunes et les femmes. L’idée étant de faire des villes « un outil concret pour le développement », « d’améliorer la qualité de vie des populations » sur un continent qui sera à majorité urbain d’ici à 2040.
« Améliorer la qualité de vie des populations » signifie aussi que celles-ci aient les moyens de se nourrir convenablement. C’est le sens de l’appel pour un leadership africain en matière de sécurité alimentaire conjointement lancé par Koffi Annan, l’ancien secrétaire général des Nations unies, et John Kufuor, ancien président du Ghana, tous deux présents aux assises de Lusaka. L’appel est pavé de douces intentions et ambitionne de mobiliser les énergies pour pouvoir faire de l’Afrique un exportateur net de produits alimentaires d’ici 2025. L’agriculture fournit plus de 60 % des emplois sur le continent. En dépit de son rôle central, le secteur ne représente pourtant qu’un quart du PIB des pays africains. « Il faut en faire un instrument de transformation économique et sociale, un outil de progrès en Afrique », a lancé John Kufuor, qui a dirigé le Ghana de 2001 à 2009, un pays dont le « miracle économique » est parfois vanté.
En attendant que ces différents appels de la Banque africaine de développement pour un meilleur accès à l’énergie et à la nutrition soient transformés en engagements concrets par les dirigeants, les groupes électrogènes du Centre international de conférences de Mulungushi continuent de vrombir, et de polluer un peu plus l’air de cette vallée située à 15 km de la capitale zambienne.